Jean Baubérot est détesté des "républicains laïcs universalistes". En particulier de Caroline Fourest.


Il a pourtant un grand atout sur eux : c'est un historien qui va voir les sources. Plutôt que de postuler une laïcité sortie toute armée de la loi de 1905, il va lire Ferdinand Buisson, Jules Ferry, Jean Macé.


Il a aussi un grand inconvénient : son style d'écriture aime les incises, ce qui rend son propos assez laborieux à suivre. C'est aussi un de ces universitaires qui aime écrire par cercles concentriques, la pleine clarté n'arrivant que dans la conclusion.


Face à la radicalité avec laquelle la laïcité est envisagée aujourd'hui, ce principe étant moins devenu une règle en politique qu'une source d'injonctions, il est dommage de ne pas trouver dans le camp modéré une plume plus punchy. Mais pouvait-il en être autrement ?


L'ouvrage suit un plan thématique, qui n'a rien d'évident, et revient sur les évolutions de la laïcité depuis le XIXe siècle. S'il faut en retenir quelque chose, c'est une idée de trois seuils de laïcisation successifs. Il déconstruit aussi l'idée d'une "exception française" universaliste. Ce qui, il faut bien le dire, est salutaire.


I - Coup d'envoi. La laïcité, qu'est-ce à dire ?
Un retour sur la notion de laïcité telle qu'elle apparaît chez son père, Ferdinand Buisson (Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire). Il l'entend comme une notion plus grande que celle de sécularisation, sans prétention à fonder une "exception française", convoquant les exemples des pays voisins pour appeler de ses voeux une séparation de l'Eglise et de l'Etat en France. La laïcité est une sécularisation qui émancipe en élargissant aux droits de l'Homme.


II - La naissance de l'école laïque.
On part d'un texte d'Henri Marion dans sa Grande encyclopédie sur l'école. On revient sur la loi de 1881, au fonds un compromis : on ne supprime pas l'instruction religieuse, qui ne dépend plus de l'école mais trouve un créneau sur la journée du samedi qui est libérée à cet effet. Les "ministres des cultes" perdent aussi leur rôle d'inspection. Mais on est plus circonspect sur la chasse aux signes religieux. Un "accommodement raisonnable", comme on dit au Québec. La laïcisation est lente au sein de la "Laïque". L'école, dans ses cours de morale, passe des "devoirs envers Dieu" au devoir de solidarité. Marion a justement inspiré cette morale laïque (1880 : Devoirs et droits de l'Homme etc...). En cela, comme l'Eglise, elle s'oppose au darwinisme social d'une Clémence Royer dans sa préface à L'origine des espèces. En misant sur l'idée d'une dette envers les ancêtres. Le salut qu'elle propose est l'ascension sociale sur plusieurs générations.


III - Ecole et laïcité de 1905 à 2005.
Au fonds ce chapitre n'est pas facile à lire car c'est une relecture d'un ouvrage visiblement classique d'Antoine Prost sur l'enseignement en France. Retour sur l'idéal de Ferry d'une école créant des semblables (et non pas des égaux). Rendez-vous manqué pour un système éducatif unique en 1947 (commission d'André Philip et du plan Langevin-Wallon). Terrible loi Debré de 1959 qui oblige les établissements privés à s'aligner en termes de programme en échange d'une subvention. De plus, on remplace la confusion des âges (cours élémentaire, cours moyen, cours supérieur) et la ségrégation des sexes par la ségrégation des âges et la mixité sexuelle. B. retrace le combat entre "républicains", traditionnalistes, et "réformateurs/pédagogues", souhaitant adapter l'école à la société. Il met en garde contre une école qui chercherait à singer la télévision, surtout pour les petits. On en vient à 1984, conflit peu expliqué et dernière opposition entre public et privé, avant qu'au milieu des années 1990, la nouvelle guerre oppose les "universalistes" et les "Munichois". B. souligne la conception étriquée des "universalistes", dont la pensée s'arrête à Condorcet, et qui fait la chasse aux particularismes. Avec une rhétorique de l'attaque. Alors qu'il n'existe pas d'universel que le maître transmettrait à l'élève, sinon à titre d'horizon.


IV - Médecine, école : laïcisation et sécularisation.
Ce n'est pas sous la Révolution, mais sous Napoléon que naît l'autonomie de l'éducation vis-à-vis de l'Eglise, avec la création des universités et la remise des primaires à la charge des communes. Concernant la sécularisation, B. rappelle trois dimensions distinguées par Dobbelaere : la différenciation structurelle et fonctionnelle de l'Eglise et l'Etat ; une tendance des Eglises à se mondaniser ; les comportements individuels face au religieux. La laïcisation correspondrait au premier aspect, institutionnel. Il faut s'intéresser donc à d'autres institutions : l'armée a été rapidement séparée de la religion. Pour la médecine et l'école, on distingue des seuils de laïcisation. Le premier seuil a lieu sous Napoléon. Le deuxième seuil correspond à un chassé-croisé institutionnel. Ainsi, le médecin prend la place du prêtre auprès des malades et mourants, ce qui entraîne un nouveau rapport à la mort : il ne s'agit plus de "bien mourir", mais de rester en bonne santé. C'est l'oeuvre de la loi interdisant l'exercice illégal de la médecine (1803). Il n'y a pas reflux, mais transfert du sacré vers la médecine comme institution. On retrouve un tel enchantement séculier avec l'école. Cela passe par la croyance en le progrès. Ce processus de transfert est achevé en 1905 et permet de passer à une séparation institutionnelle. En 1902, l'obligation de vacciner contre la variole marque le début des devoirs du citoyen en matière médicale. Ecole et médecine se sont autonomisées. Pour la médecine grâce à un monopole technologique (premiers rayons X etc...). Dans le même temps, ces institutions sont de plus en plus encadrées par l'Etat et se banalisent. Elles entraînent des critiques, comme Yvan Illich souhaitant Une société sans école (1971) et critiquant la Némésis médicale (1975). L'école est aussi contestée en 68. On aboutit à une sécularisation désenchantée, qui amène une désinstitutionnalisation, et donc un troisième seuil. Les institutions perdent leur magistère moral et composent avec les individus, qui revendiquent leur autonomisation.


V - Etat républicain et droits de l'Homme : une relation ambigüe.
En France, contrairement à l'Italie (par exemple), on fait un lien consubstantiel entre laïcité et république. Le texte de référence est la DDHC de 1789, ce qui est paradoxal : au départ, ce texte ne signifiait pas une fin de la monarchie. Elle a été abandonnée en 1793, puis en 1795 (la dernière n'est plus républicaine). Les trois font référence à "L'Être suprême". En 1871, la Commune rend impossible un retour à la IIe République. Les républicains reviennent à la DDHC de 1789, manière de détruire la prétention de Napoléon III de s'inscrire dans sa suite ; par ailleurs il n'y a pas de constitution de la IIIe république à laquelle accoler ce texte. A noter que Vichy travailla à une constitution, qui incluait le droit de vote des femmes et un ancêtre du Conseil Constitutionnel. Dans la suite du chapitre, B. entame un dialogue implicite avec Claude Nicolet, auteur de L'idée républicaine en France (1982). Nicolet explique que la DDHC ne doit pas être inclue à une constitution car cela lui confère un statut de texte sacré, rendu par sa représentation graphique. Elle n'est donc pas sujette à interprétation : Buisson s'opposait à ce qu'on la fasse réciter. Enfin, on répugne à leur donner valeur constitutionnelle, malgré des tentatives (Alfred Nacquet en 1873). En réalité, c'est par peur de ne pas réussir à les faire pleinement respecter. De toute façon, la conception de Buisson était isolée : des instituteurs faisaient seriner la DDHC.
Sans qu'on voit bien le lien, B. revient ensuite sur les deux lois anticongrégations de 1901 et 1904, sur l'oeuvre de Waldeck-Rousseau et Combes pour désarmer les congrégations avant la séparation de 1905. On fait la promesse de se débarrasser rapidement de ces questions religieuses pour pouvoir traiter ensuite la question sociale (le milliard récupéré sur les congrégations était censé financer les retraites ouvrières) : c'est du pipeau, une politique religieuse raide va de pair avec une politique sociale faiblarde. B. part dans un délire sur la relation entre Combes et la princesse Bibesco. Nicolet justifier le combisme en disant que dans la DDHC, le "citoyen" est supérieur à "l'homme", mais B. fait un commentaire de texte pour démonter cet argument. Hommes et citoyens se confondent, ce qui sera pratique pour expliquer que la république est coloniale. ça coupe un peu des cheveux en quatre...


VI - 1903-1908 : la séparation, mutation de la laïcité.
En 1903, des soldats expulsent les chartreux, sur ordre de Combes. Ce type d'action allume des incendies en Bretagne et pose la question des limites du pouvoir de l'Etat. Se pose aussi la grave question des manuels scolaires. Lintilhac est partisan du monopole de l'Etat sur les contenus. Buisson s'y oppose en misant sur l'esprit critique, mais est mis en minorité. Il y a une opposition entre une laïcité qui se qualifie elle-même d'autoritaire et une autre qui laisse sa place au libre arbitre, au risque de se perdre. On est dans une époque de combat et de "recours pour abus" : des ecclésiastiques sont condamnés pour s'être ingérés dans l'instruction publique. Il faut dire que l'Etat peut suspendre les traitements des prélats, ce dont ne se prive pas Combes, qui utilise les armes du Concordat contre l'Eglise. Son projet de loi de 1904 place en fait les cultes sous tutelle : la liberté de conscience n'est pas explicitement garantie, et le bail des édifices religieux est de dix ans, avec menace de non-renouvellement. Les cérémonies et les habits religieux sont interdits de la voie publique. Ce projet est extrêmement régalien. Briand vient ramener le calme, face à un Combes affaibli par "l'affaire des fiches". Art. 1 : liberté de conscience. Art. 2 : pas de préférence pour un culte (on ne reconnaît plus 4 cultes, comme auparavant). Art. 4 : les édifices sont transférés aux associations paroissiales dépendants de l'évêque du lieu. Ce dernier divise dans le camp républicain, il reconnaît la hiérarchie du Vatican. On fait preuve de mollesse concernant les inventaires, avant de les interrompre. En 1908, les édifices non réclamés par des paroisses qui ne se seraient pas constituées en association sont attribués aux communes, qui en donnent libre usage au prêtre, tout en en payant l'entretien. Entorse qui restaure le calme.


VII - De l'Etat régalien au dépassement du cadre étatique.
Le libéralisme de la IIIe république, avec la liberté de la presse et des associations, laisse le champ libre à la propagande catholique. 1905 marque une double rupture : sur l'immixtion de l'Eglise dans la société politique, et sur celle de l'Etat dans les affaires religieuses. Au grand dam de radicaux comme Clémenceau, qui fustigent Jaurès et Briand. Au reste, la république et l'Eglise ne s'affrontent pas dans l'empire colonial, où les missions catholiques travaillent de pair avec les fonctionnaires. En 1946, le préambule de la constitution intègre enfin les principes de la DDHC. Un Etat-providence naît. B. revient maintenant sur le combat pour la légalisation de l'IVG comme un moment où le conflit social n'est plus mené par l'Eglise ou l'Etat, mais par des groupements de citoyen.nes. Chaque camp est divisé : il y a des catholiques pro-IVG et dans le camp républicain, le PCF est hostile à la légalisation, ainsi qu'une partie du corps médical. L'Etat, lui, hésite, mais cesse rapidement de faire des discours prescipteurs en termes de morale (Jean Foyer craignant une .


VIII -L'identité française au-delà du conflit des "deux France".


IX - Les changements de l'identité française.


X - La religion civile, impensé de la laïcité française.


XI - Individu et universalisme à la "Belle époque".


XII - L'individu et l'institution incertaine.


XIII - L'individualisation du religieux entre le public et le privé.


XIV - Une sociologie historique de la laïcité.

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le 24 janv. 2021

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