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Le Caméléon
7.3
Le Caméléon

livre de David Grann (2008)

Pourquoi crée-t-on des fictions policières quand la réalité propose des hommes comme Frédéric Bourdin ? L’enquête de David Grann pose implicitement la question. Pourquoi lire / écrire le Caméléon alors qu’on trouverait probablement des renseignements bien plus fournis sur internet ? C’en est une autre, pas moins intéressante à mon avis.
David Grann ayant rencontré le sujet de son travail – qui est à l’origine un long article pour le New Yorker –, on évite au moins le livre de journaliste dans le mauvais sens du terme, avec reconstitutions sensationnelles et recoupements de sources toutes plus douteuses les unes que les autres. Si bien que le volume n’est jamais racoleur. Par ailleurs, l’auteur sait ménager ses effets, construire un récit – voir la très belle scène d’ouverture –, et doser les proportions entre données concrètes (façon les faits, rien que les faits) et analyse.
On peut naturellement rapprocher le Caméléon de l’Adversaire, où Emmanuel Carrère employait des procédés semblables. Le parallèle entre leurs personnages – l’énormité de leur conduite ! – me paraît aussi naturel à établir mais moins facile à prolonger. Frédéric Bourdin emprunte ou s’invente des identités (y compris physiques), trouve régulièrement des portes de sortie, se fait démasquer par l’abnégation d’enquêteurs. Jean-Claude Romand modifie son identité (seulement sociale), s’enferme petit à petit pendant douze ans dans une voie sans issue, n’est confondu qu’à cause de la taille de son mensonge. L’un paraît plutôt un manipulateur, l’autre un mythomane poussé à l’escroquerie.
Par ailleurs, – et c’est l’inverse dans l’Adversaire –, le Caméléon amène moins de questions morales que de questions judiciaires : « Comme souvent avec les supercheries de Bourdin, le système judiciaire hésitait sur la sanction à appliquer » (p. 17-18), de même que « Comme on le pressait de livrer ses motivations, Bourdin précisa encore que tout ce qu’il voulait, c’était de l’amour et une famille. Il fournissait toujours cette raison, devenant par voie de conséquence le seul imposteur à éveiller autant de sympathie que de colère chez ses victimes. » (p. 28).
Il y a un moment dans le Caméléon où une imposture de Frédéric Bourdin est sur le point de faire ressurgir un secret plus lourd encore. Je connais des scénaristes de séries télévisées qui n’y auraient même pas songé…

Alcofribas
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le 31 juil. 2018

Critique lue 98 fois

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