L’histoire nous plonge dans un monde où les Etats-Unis ont perdu la deuxième guerre mondiale, un monde bien différent du notre donc. L’Allemagne nazi et l’Empire du Japon se partagent ainsi le monde, l’ancienne Amérique divisée en deux, avec à l’ouest les Etats Unis du Pacifique (PSA), territoires investi par les japonais qui ont installé plusieurs entreprises florissantes. Les riches ressortissants se passionnent pour la culture américaine, et notamment les objets historiques. A telle point qu’un véritable trafic est mis en place, des fabricants peu scrupuleux vieillissant d’artificiellement des objets pour leur donner une valeur historique et les revendre une fortune.
Les blancs d’Amérique se sont avec le temps adaptés à leur présence sur leur territoire, la guerre étant du passé, toute rancune n’étant plus d’actualité. Travaillant dans les sociétés de leurs anciens envahisseurs, acceptant bon gré mal gré leur présence, conscients qu’ils occupent une classe sociale inférieure, peu importe à quel point ils essaient de se faire pâlir le teint pour leur ressembler. L’influence des japonais est si forte que leur culture s’est profondément enracinée dans celle des américains, dont nombreux sont ceux qui consultent régulièrement le Yi King, le livre des mutations, pour toutes les questions qui les assaillent sur l’avenir et la marche à suivre. Mais reste à interpréter ses réponses cryptiques.
Les progrès technologiques des nazis sont tels qu’ils sont parvenus à maîtriser les voyages spatiaux et à coloniser Mars, tandis que le Japon accuse un vrai retard dans ce domaine.
Pour éviter d’être dénoncé et extradé en Allemagne, où l’extradition les attend, les juifs survivants ont subi des transformations physiques pour se mêler au reste de la population.
Quant au génocide qui a eu lieu durant la guerre, la question divise. Certains continuent de déplorer cette horreur et le monde qui découle depuis cette horrible période, d’autres, y compris du côté des vaincus, bénissent les vainqueurs d’avoir empêché les communistes et les juifs de dominer le monde.
Tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, l’empire nazi subi des querelles de pouvoir alors que le dictateur a sombré dans la folie, avec d’un côté des éléments plus progressistes, et d’autres bien décidé à perpétuer les vagues d’extermination. Des factions qui n’hésitent pas à lancer des assassins se débarrasser de leurs opposants. Après avoir épuré l’Afrique de ses populations indigènes comme elle l’avait fait des juifs, l’Allemagne nazi risque de ne pas accepter éternellement de partager le monde avec l’empire du soleil levant.
Au milieu de ces agitations, un étrange livre fait parler de lui, alors qu’il est pourtant frappé d’interdiction dans les territoires nazis. « Le saut de la sauterelle », une étrange œuvre de fiction, pourtant crédible, qui raconte un monde où ce seraient les Etats-Unis qui auraient gagné la guerre. Vaincus ou vainqueurs, japonais ou allemands, ce livre interpelle et tous se posent la question de savoir à quoi pourrait bien ressembler un tel monde, et surtout s’il ne serait pas mieux que le leur. Et si la fiction décrivait en fait la réalité ? Un renversement de perspective typiquement dickien. Le monde qu’il dépeint, toutefois, n’est pas conforme au nôtre mais représente encore une autre réalité.
Le livre suit donc plusieurs personnes qui tentent de trouver leur voie. Un collectionneur d’arts passionné par son travail et qui voue une admiration aux envahisseurs japonais, un artisan divorcé récemment licencié qui veut faire tourner sa propre affaire quitte à user d’un peu de manipulation, un cadre japonais écœuré par le monde dans lequel il œuvre, une femme désespérée de trouver un jour le bonheur dans ce pays qui ne leur appartient plus, un homme d’affaire aux motivations secrètes…
Premier chef d’œuvre de Philip K Dick, dont l’influence et la contribution en science-fiction ne sont plus à présenter, « le maître du haut-château » est un de ses livres qui se lit le plus aisément, sans délires trop mystiques ou folie trop prononcée qui ressortent parfois de ses œuvres et peuvent en gêner la lecture. Pour autant, il est parfois difficile de comprendre pourquoi l’auteur insiste autant sur certains points. Pourquoi développer autant la partie sur le trafic d’objets historiques, alors que ce qui intéresse vraiment est la description de cette uchronie ? On sent également un intérêt prononcé par l’auteur pour le Yi-King, dont les capacités prémonitoires semblent ne souffrir d’aucun scepticisme.
Le « saut de la sauterelle », livre dans le livre, et le questionnement sur la réalité qu’il induit, apparaît presque secondaire dans l’histoire, qui semble d’avantage se focaliser sur les histoires de diverses personnes dans un monde à la dérive. Le fameux maître du haut château apparaît d’ailleurs à peine, étrange pour un personnage qui s’avère être le titre du livre… Quant à savoir si oui ou non ce qu’il décrit est la réalité, la question reste en suspens, jusqu’à la fin du livre, et ne trouve réponse que dans un chapitre rajouté dans la dernière édition…
Un livre, qui s’il se lit donc aisément, n’apparaît pas aussi intéressant que ce que l’histoire promettait. Mais après tout Philip K Dick n’a jamais suivi les codes de la littérature et écrit selon ses propres cheminements. « Le Maître du haut-château » est toutefois précurseur des thématiques propres à l’auteur, et les œuvres qui s’ensuivront prolongeront d’avantage les vacillements de la réalité, ou encore le désespoir des personnages dans un monde au bord du gouffre.