Le Miracle Spinoza a longtemps trôné au magasin Relay de la gare Montparnasse, devant lequel je suis passé tous les jours durant deux années. Il m'intriguait, je l'avais simplement feuilleté, sans grand intérêt. Allant ces jours-ci chez des proches, je le retrouve, l'emprunte, et le lis de bout en bout. L'intuition que j'avais eue se confirme : on est bien là face à ce qu'on pourrait appeler "philosophie de gare".


Le livre de Frédéric Lenoir est en effet très facile d'accès : introduction dithyrambique, biographie, premières œuvres, présentation de L'Ethique, et conclusion montrant des "limites" de la pensée spinoziste. On a donc là un exposé qui semble complet : la vie, la présentation de toutes les œuvres, puis les limites, -comme un exposé de Terminale qu'on aurait développé en plus de pages.


Il ne s'embarrasse pas de rigueur de type universitaire et le dit dès l'introduction ("certains passages me restent obscurs") et surtout dans la bibliographie, aussi maigre que le programme d'Emmanuel Macron. Celle-ci, outre sa dramatique petitesse, ne comprend que des ouvrages très simples sur Spinoza : le livre de Deleuze Spinoza. Philosophie pratique est présenté comme "lecture difficile", alors que, pour toute personne ayant un tout petit peu étudié la philosophie, le livre paraîtra assez simple, notamment comparé à Spinoza ou le problème de l'expression, du même Deleuze. Le livre s'adresse de fait, je le sais bien, à des non-lecteurs de philosophie, mais tout de même : l'effort initial aurait pu être plus grand, notamment pour éviter certaines erreurs factuelles.


On pourrait faire une longue liste des griefs contre cet ouvrage. On pourrait parler du titre, "Le Miracle Spinoza" : Lenoir dit qu'il l'a proposé avec une certaine légèreté, puisque Spinoza récuse les miracles. Cependant, dans le corps du texte, on aperçoit un problème plus profond : Lenoir fait comme si Spinoza sortait de nulle part ; sa présentation de l'enseignement qu'il a reçu, de ses connexions avec les penseurs de son temps, est plus que maigre. D'ailleurs, il ne discute pas les rapports que Spinoza entretient avec l'œuvre de Descartes, que Lenoir semble à peine connaître. On pourrait parler de la "méthode biographique", tirée de Michel Onfray (et, plus lointainement, de Sainte-Beuve) qui fait tirer à Lenoir des pensées spinozistes de la vie supposée de Spinoza, sur laquelle nous n'avons pourtant que peu de certitudes. On devrait aussi récuser toute la lecture christique que fait Lenoir, insistant sur cet aspect pour faire de Spinoza une sorte de nouveau Christ, tout en le reliant aux sagesses indiennes, dans un gloubi-boulga New Age qui ne dit pas son nom.


Mais, surtout, on pourrait s'en prendre à la conclusion, qui donne comme une limite à la pensée spinoziste l'existence du "paranormal", alors que la démonstration spinoziste présentée auparavant montre nettement une résolution de ce problème, et l'idée que le système spinoziste serait clos, ce qui est une stupidité.


Cependant, le véritable problème est à mon avis le suivant : les personnes ayant lu le livre de Frédéric Lenoir ne sont aucunement préparés à lire Spinoza dans le texte. Ce livre ne sert pas réellement d’introduction à l’œuvre du bon Baruch, mais plutôt à donner au lecteur l’illusion qu’il la connaît. Le lecteur de ce livre n’est aucunement préparé à affronter la méthode démonstrative de L’Ethique : on lui donne bien plutôt les « moments-clefs » pour lui épargner de la lire, alors qu’il faudrait surtout bâtir une pédagogie permettant de comprendre la logique de l’avancée des propos, notamment en rappelant précisément la méthode logique et mathématique.


Parce que, faire de la philosophie de gare n’est pas du tout un problème en soi. Que les gens lisent de la philosophie partout, qu’il existe des ouvrages de vulgarisation pour aborder ensuite les auteurs dans le calme de la réflexion, voilà qui est même louable en soi. Néanmoins, il faut que cette « vulgarisation », cet abord des auteurs et des pensées essentielles, soit faite correctement, et ce n’est pas le cas ici.

Clment_Nosferalis
5

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Journal de lecture - 2021, Spinoza et autour de Spinoza et Les meilleurs livres de 2017

Créée

le 31 janv. 2021

Critique lue 1.7K fois

8 j'aime

Critique lue 1.7K fois

8

D'autres avis sur Le Miracle Spinoza

Le Miracle Spinoza
WillClayman
2

Le mirage Lenoir

Lorsque j'ai aperçu pour la première fois la couverture du bouquin de Frédéric Lenoir, j'ai été triplement interloqué. D'abord parce que je me trouvais au relais H de la gare Montparnasse et que...

le 13 août 2019

4 j'aime

Le Miracle Spinoza
AristideLP
6

Une bien belle introduction au philosophe

Frédéric Lenoir est connu pour ses livres de philosophie pédagogique sur la question du bonheur avec des oeuvres comme "du bonheur, un voyage philosophique" ou encore "la puissance de la joie". Cet...

le 6 mars 2018

4 j'aime

Le Miracle Spinoza
ElectricBooz
3

Frédéric Debonaloi

Objet livresque que j'ai lu - le style est affreusement scolaire, pour ne pas dire soporifique - comme une vulgarisation de la philosophie spinoziste, ce qui ne m'a éclairé ni sur la pensée du...

le 18 nov. 2018

3 j'aime

Du même critique

Nadja
Clment_Nosferalis
10

Un chef-d'oeuvre

"Nadja" est un des meilleurs livres du XXème siècle, et l’un de mes préférés dans toute l’histoire de la littérature. Le surréalisme atteint ici son point culminant, sa véritable cristallisation, et...

le 15 sept. 2014

32 j'aime

4

En finir avec Eddy Bellegueule
Clment_Nosferalis
2

Beaucoup de haine et peu d'intérêt

Je n'ai pas lu "En finir avec Eddy Bellegueule" à sa sortie, j'ai voulu laisser passer le temps, ne plus être dans le commentaire à chaud et à cœur, dans la passion et le débat qui ont animé sa...

le 21 oct. 2014

29 j'aime

8