C’est le premier livre de Pierre Jourde que j’ai lu. J’en retire un grand sens de la digression où l’auteur étire son propos entre le transport de ce fameux canapé-lit jusqu’aux confins des souvenirs familiaux. Il est vrai que Le voyage du canapé-lit fricote plus avec l’autofiction, mais Pierre Jourde n’est pas à une contradiction près lorsqu’il décrit sa détestation réciproque avec Christine Angot dans l’un des chapitres. On le comprend, le transport du meuble familial n’est qu’un prétexte pour une épopée lucide et nostalgique où Pierre Jourde relate ses racines, son rapport aux membres de sa famille, des paysages ruraux qu’il connaît par cœur. Sa maestria est de faire communiquer les chapitres entre eux, de renouveler les duels verbaux avec son frère et sa belle-sœur ( compagnons de voyage volontaires mais parfois râleurs et récalcitrants) tout en essayant de modifier les formes narratives pour avancer des anecdotes ( comme avec cette poésie originale sur le café).L’un des meilleurs moments du livre est où Martine, la belle-sœur de l’auteur, l’invective sur la façon de mettre sa famille sur un piédestal par rapport au reste du monde. Le genre de critique où Pierre Jourde vilipende la structure et le but de son propre livre à dessein. C’est culotté, jubilatoire et reflète bien l’attitude de l’écrivain qui prouve que l’acte de « faire littérature » est parfois ne pas afficher une posture trop sérieuse ou académique. On rit beaucoup dans ce livre car Pierre Jourde n’hésite pas à scruter le ridicule de situation ( comme lorsque son frère Bernard perd une banane remplie de liasses de billets en Amérique du Sud)ou à dévoiler sa posture grotesque lors d’une remise de prix à l’académie Française ( ça doit être le moment de sa vie mais il est dérangé par une envie pressante et l’attitude de sa mère devant le buffet). De péripétie en péripétie, le ton monte, le souvenir est revu et remis à une place moins flatteuse sur l’étagère d’une existence, mais l’épilogue malin fait retrouver le sens profond de l’unité narrative où la famille fait partie de la vie jusqu’au bout pour le meilleur ou pour le pire, entre rires et larmes. Je reviendrai à la bibliographie de Pierre Jourde car vu le caractère prolifique et protéiforme de son œuvre, il y a beaucoup de matière à découvrir.