Ça se lit terriblement bien. C'est addictif je vous assure, on en prend une dose tous les matins. Du petit lait, encore que les veaux qui en profitent ne sont pas analphabètes.


Petite résistance sur les noms propres je dois l'avouer, mais c'est un peu de ma faute. Mes proches vous le diront que je bute sur le nom de mes semis-proches, voire même sur le souvenir que j'ai d'eux.


Cela dit , j'ose le supposer, Step joue un peu sur la confusion parfois. Entre les souvenirs d'un homme et l'enfance d'un autre, entre un fiancé et un divorcé, entre deux salles de cinéma à plusieurs milliers de kilomètres l'une de l'autre. Ils sont anecdotiques je crois, mais j'ai apprécié ces passages où j'ai dû me dépatouiller notamment avec les noms propres africains.


Parfois sur quelques lignes, quelques lettres même peut-être, je n'étais plus sûr d'être en Afrique ou en France. Ou ailleurs. Des cultures qui se tirent la bourre, fusion laborieuse et merveilleuse. J'ai une très mauvaise géographie. Mais passons.


Je crois que j'ai ri à chacune des nouvelles, et que j'ai aimé tous les personnages. Genre vraiment aimé, j'ai envie de les rencontrer.


J'ai envie de les laisser à l'écart aussi, pour préserver la magie des textes. Pour préserver ce qu'ils disent et qui peut-être dans le texte dépasse la réalité. Pour préserver ce qui pour moi est déjà un souvenir agréable
(capitaliste onirique que je suis, mais capitaliste quand même).


Équilibre fragile des souvenirs, des amitiés éphémères. Avec un texte, avec un être. Vous y trouverez votre compte dans ce livre, autant que votre réalité le permet. Votre mémoire et le temps qui passe, les choses qui changent ou qui n'adviennent jamais. Souvenirs en capitaux evanescents. Projections.


J'ai écrit plusieurs critiques à ce livre, plusieurs histoires m'ont véritablement inspiré. Mais ces critiques sont presque devenus des projets personnels, je les garde pour moi donc.
Mais voici un extrait d'une des nouvelles du gouverneur Capitale, extrait que j'ai trouvé inspirant, si je peux me permettre:


Nous avions fini par nous apprécier. Nous étions ce qui ressemble le plus, entre hommes de cultures différentes, à des amis. Ce mot ne correspond que fort mal à la réalité. Les distinctions sont tellement fortes, et pas seulement d'ordre culturelle ou philosophique. J'étais le fils d'une société fondée sur l'individualisme, la compétition, la sécurité et le droit. Les cheveux de l'homme blanc sont comptés. Pas les siens. Bien que haut fonctionnaire, diplômé et respecté, Jean n'étais nullement à l'abri d'un accident, d'un retour à la précarité, comme ses pairs. J'étais de passage. Je m'étais efforcé de m'installer ici confortablement, pour durer, j'avais tenté de m'intégrer, seulement ma place m'attendait là-bas, en France. Pas lui. Cette différence ne se laisse pas aisément oublier. Nous étions plus que partenaires, plus que copains, nous voulions être amis, nous l'affirmions et faisions comme si. Un jour, nous avons tutoyé l'amitié. Un seul jour.


Ma copine, dont "les cheveux sont comptés" a passé quelques mois au Mali. Je lui ai lu deux trois nouvelles, et d'autres extraits. Elle aime bien parler d'Afrique, j'aime bien me demander ce que l'on va faire là-bas. Nous avons du grain à moudre.


Merci Step, de bons moments.


Je ne me sens presque pas légitime de parler de copinage ici. Je vais donc m'empresser de le faire, notamment parce que je l'ai ressenti aussi comme une thématique du livre :


Le copinage, pardonnez-moi d'y aller à la truelle, c'est déjà aborder l'oeuvre (que ce soit le livre ou le gratin dauphinois) du concerné avec un respect prémédité accru. Du moins, avec une attention particulière. On part du principe de base qu'on appréciera de donner un avis sincère. C'est effrayant, "et si c'était mauvais?". Pire "et si, que j'aime ou pas, je me montrais pusillanime par commodité?". Peur d'être obséquieux, complaisant, ou pire, caudataire ou lâche ! Peur d'être maladroit aussi, peur de vexer, presque envie de se taire. Au regard de toutes ces questions cela dit, nous voyons bien que le copinage n'enlève rien au sens critique. Au contraire. Il nous inclus simplement dans la donne. C'est grisant, on en ressort avec une dose de chaleur humaine.


"Humilité est mère de bienveillance" comme je l'ai déjà entendu dire dans ma tête. Et la bienveillance bien entendu n'empêche pas d'être moraliste, n'empêche pas plus qu'autre chose d'avoir l' œil aiguisé (de la même manière que le doute n'empêche pas de s'exprimer sur tous les sujets). Peut-être incite-t-elle à une forme de respect lucide face à l'autre, puisque nous sommes tous dépassés les uns par les autres. Séparés d'un fossé magique. La pointe de retenu qu'il faut, sans se retenir de dire sincèrement. Simplement savoir que toute interprétation est un possible à priori. Une percée quasi-quantique, d'un vide dans lequel la vérité se trouve, inaccessible, probablement multiple. Et au regard de ce livre, j'ose dire que Step en sait plus que moi. Il substantifie sans décortiquer, je trouve, la peau du fruit est intact. C'est à un poil d'écorce au delà de la bienveillance, sur le fil, là où l'être lui-même a l'air lui aussi presqu'intact. Et les personnages donnent la sensation du presque vrai, même ceux inspirés de vraies personnes.


"S'il est vrai que bien, adverbe d'un verbe, est toujours une modalité de l'action et une manière de vouloir (de bien vouloir!), même quand on le réifie, on peut dire aussi que l'être est à son tour une espèce d'acte − le plus vague, le plus indéterminé et le moins accentué de tous les actes − même quand on le substantifie (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 21)."


(Citation copiée-collée du Cnrtl, elle est belle placée ici, je ne suis pas sûr de l'avoir comprise cela dit)


Dernière remarque, non des moindres, je ne sais pas si on peut y voir un bémol:


La tragédie en trois actes à la fin m'a déstabilisé. J'ai succintement connu un français d'origine Camerounaise qui a arbitrairement passé 15 ans (2x7 ans, peine arbitrairement renouvelable) dans une geôle sans soleil, accusé à tort de comploter contre le gouvernement de Paul Biya. L'Association Atangana contre l’Oppression et l’Arbitraire (AACOA) demande justice pour 15 années de vie volées par un Gouvernement. Gouvernement capitaliste, le cas est légèrement différent. Cela dit, à la différence des autres personnages, j'ai eu du mal à aimer Sékou Touré comme son peuple l'a semble-t-il aimé. Je suis peut-être trop délicat, voir mal placé... comme le dit le successeur, à non injuste titre, malgré tout, et notamment malgré sa maladresse: "La corruption est en France. La Guinée est propre et n'a de leçon à recevoir de personne."

Vernon79
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le 5 juin 2018

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