La fin des années 60 et le début des années 70 furent une sorte de boîte de Pétri géante dans laquelle purent se développer toutes sortes de micro-organismes gauchistes particulièrement fascinants. Trotskistes, maoïstes, libertaires ou conseillistes, ces groupuscules n'avaient en commun qu'une attitude contre-révolutionnaire (c'est à dire dirigée contre le camp socialiste et le PCF proto-révisionniste au nom de la pureté qui des mesquineries menchéviques de Lev Trotski, qui de la pensée Mao "Tsé-Tung", qui du culte de la personnalité du bandit Makhno, qui d'une sacro-sainte spontanéité des mâââsses bien utile pour se cantonner au culturo-mondain) et une audience quasi-nulle, malgré une agitation constante plus romantique que bolchevique. La composition de ces organisations, à l'exception de l'archéo-secte LO qui fait toujours figure d'exception dans le paysage, était bien évidemment bourgeoise sur toute la ligne et presque intégralement étudiante, les deux ou trois ouvriers de passage se révélant presque toujours être des indicateurs de police sous couverture ou des paumés férocement exploités par leurs dits camarades pour les tâches relevant de l'intendance ingrate.
Enfin, pas besoin de moi pour le savoir, c'est magnifiquement montré dans La Chinoise, du pourtant maoïste Godard en '67. Un petit bijou brechtien dont je ne peux que vous recommander le visionnage, au passage!
Dans ce contexte d'agitation sans vaine surgit alors ce pamphlet minuscule, qui ne fut lu par personne et retomba immédiatement dans l'oubli. Alors que les militants gauchistes, ignorant peu à peu l'importance du mode de production et de ses contradictions internes dans la lutte des classes, se donnaient pour tâche première de traquer l'aliénation dans chaque aspect de la vie quotidienne, même le plus anodin, pour le dénoncer crânement, ils étaient systématiquement forcés de s'arrêter devant les vaches sacrées de l'Organisation et du Militantisme. Les auteurs de cette brochure, eux, poussant jusqu'au bout la logique de la critique critique de l'aliénation aliénante, ne reculèrent pas devant cet iconoclasme suprême. La conception qui en résulte est d'une outrance folle; elle prête à rire, bien sûr, dans la mesure où elle ferme la porte à toute action concrète, à tout changement révolutionnaire voire à toute action matérielle au profit d'une sorte de salade dogmatique naïve et pseudo-intellectuelle dont on sent qu'elle a été rédigée par de très jeunes gens très dogmatiques. Même les thuriféraires les plus obtus du maoïsme pro-chinois, capables de trouver de l'intérêt dans les aphorismes affligeants du Petit Livre Rouge et toujours en guerre en 2021 contre la "clique révisionniste de Lin Biao" et les "impérialistes fantoches", même des militants à peine majeurs des JR donc, apprécieraient d'un premier coup d'œil que les auteurs ne comprennent rien aux concepts qu'ils emploient et que leur théorie est absurde.
Cette outrance, cependant, est mise au service d'un véritable don pour la polémique. Quel militant ne rira pas de bon coeur devant les descriptions parfois si justes des cadres petits-chefs, de la réunionite, de la sanctification de la souffrance militante ou du turn-over inévitable des adhésions suivis de départs inexpliqués? La prose courte, aphoristique, de ce tract rend ces traits d'esprit d'autant plus percutants.
A lire donc et à mettre entre les mains d'un militant sérieux souhaitant décompresser un peu au sortir d'une réunion de 3 heures ou de tout amateur de bizarreries gauchistes.

Spinne
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le 22 janv. 2021

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