Une bonne synthèse, sans envergure ni solution

Toujours en quête d’ouvrages traitant du système capitaliste, du néolibéralisme, des inégalités sociales et des pistes pour créer un modèle de société plus équitable, cet ouvrage a retenu mon attention. Je n’avais jamais entendu parler de Gilles Dorronsoro, ni même de cette collection et à vrai dire j’étais curieux de voir ce que j’allais trouver derrière. Résultats des courses : il s’agit d’une critique condensée du néolibéralisme, étayée par une avalanche de données chiffrées et de références bibliographiques. Un livre bref mais dense, pas forcément novateur, mais de bonne facture.


L’ouvrage part du postulat que depuis les années quatre-vingt, un certain nombre de mesures ont été mises en œuvre par les gouvernements dune majorité d’États, notamment occidentaux, qui ont eu pour vocation de concentrer les capitaux « aux mains d’une élite de plus en plus étroite », entraînant le développement d’inégalités sociales mortifères et le démantèlement des États dans leur dimension protectrice et redistributrice. Ces mesures découlent de l’idéologie dites néolibérale, « aussi inconsistante intellectuellement qu’elle est brutale socialement », et s’articulent autour de trois axes : 1. « la mesure des comportements collectifs et individuels (classements, notations, quantifications) s’est généralisée à l’ensemble des pratiques sociales, y compris celle de l’ordre de l’intime » ; 2. « Le processus d’individualisation est mené à son terme : les individus sont sommés d’être les entrepreneurs d’eux-mêmes, à la recherche d’une performance (mesurable) dans une logique de compétition d’autant plus prégnante que la frontière public-privé temps à disparaître » ; 3. « les espaces sociaux sont de moins en moins spécifiques, un vrai « ré-encastrement » est en cours par les mesures qui unifient progressivement des mondes jusque-là distingués par leurs enjeux, leurs pratiques, leurs valeurs. L’entreprise commerciale, la recherche, la médecine, le sport, le monde de l’art sont régis par les mêmes règles de rentabilité, de calcul, de performance. »


Dans un premier chapitre, Gilles Dorronsoro revient sur l’inégale distribution des capitaux économiques, scolaires et corporels, mettant en avant l’existence de terribles inégalités et leur mise en exergue au sein de sociétés qui tendent à vouloir tout mesurer, comparer, noter… Dans un second chapitre, l’auteur s’intéresse à la stratification sociale, en pointant du doigt la reproduction sociale des élites, la formation d’un « précariat » entretenu par le détricotage du droit du travail ou encore le rôle de bouc émissaire joué par « les migrants ». Dans un troisième chapitre, il met en exergue le rôle des entreprises dans le développement du néolibéralisme, la volonté de disqualifier les politiques publiques et de consacrer le marché comme unique régulateur de la vie économique et sociale. Il dénonce aussi le racisme déclenché et entretenu par les élites (politiques et économiques). Le quatrième chapitre s’attarde sur le démantèlement de l’État, le développement d’une fiscalité avantageuse pour les plus riches et, plus globalement, l’instrumentalisation de la puissance publique, mise au service des intérêts économiques des puissants. Dans un cinquième et dernier chapitre, l’auteur tente de faire le lien entre la crise sociale générée par le néolibéralisme et la crise politique qui s’ensuit : crise du régime démocratique représentatif, surdité des gouvernements, montée de l’extrême droite, développement de contestation hors des structures traditionnelles (Gilets Jaunes...).


Le reniement démocratique parvient à traiter un nombre assez impressionnant de sujets en moins de cent cinquante pages. Il évoque les inégalités sociales, le capitalisme de surveillance, la transnationalisation des élites, le développement des emplois précaires, le darwinisme social, les questions migratoires, la question du lobbying, l’évolution des politiques fiscales, la question de la redistribution, le scandale des privatisations des autoroutes ou de la Française des jeux, la perte de confiance dans la police ou dans les journalistes, le recul du syndicalisme... En regard de la densité de la complexité de ces sujets, Il s’avère qu’un ouvrage aussi bref est insuffisant pire le traiter de manière approfondie. De ce fait, l’ouvrage ressemble parfois à un ensemble touffu et fouillis de notions insuffisamment développées, ou à une accumulation de chiffres qui manque parfois de mise en perspective. Les problèmes sont posés, mais laissés sans solution. Quelle alternative concrète au néolibéralisme ? Cette question fondamentale n’est pas vraiment traitée et l’auteur s’interroge plus qu’il ne propose. L’ouvrage reste ainsi très universitaire (Gilles Dorronsoro est professeur de sciences politiques à la Sorbonne !), mais propose en tout état de cause une très riche bibliographie, dans laquelle on n’hésitera pas à aller piocher.

ZachJones
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le 7 août 2021

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