Le business humanitaire, c’est une affaire qui marche : il n’est pas étonnant que l’industrie cinématographique investisse dans ce créneau porteur. Et donc, si en tant que cinéaste militant, t’as pas réalisé à 40 piges un film engagé et bankable, c’est bien simple, t’as raté ta vie. La bonne nouvelle, c’est que le militantisme dispense d’avoir du génie : tout ce qu’il faut, c’est être convivial (ah, que je hais ce mot dans lequel inévitablement seule la première syllabe me parait faire sens), accueillant, empathique, à l’écoute. Sinon, t’es un vieux réac raciste, sexiste et facho et ça, vois-tu, c’est pas vendeur dans une société où dominent les diktats du politiquement correct - et voici que je balance mon poste par la fenêtre si dans le film il n’y a pas au moins une meuf noire, migrante clandestine, lesbienne et si possible affublée d’un léger handicap.


Remarque, l’important c’est surtout de paraitre. C’est pas parce que le cinéma social n’est pas glamour qu’il se doit d’être authentique, l’essentiel étant tout de même de se faire une notoriété et si possible un bon paquet de fric sur le dos de la misère humaine. Et pour ça, il te faudra malgré tout un minimum de talent si tu prétends rejoindre la coterie des tartuffes de la bien-pensance, emplis de moralisme et de faux bons sentiments. Tout est une question d’attitude et de langage : il te faudra user et abuser de ces termes creux, de ces platitudes, de cette fausse modestie, de cette compassion contrefaite aux malheurs des autres qui font se reconnaitre entre eux les coreligionnaires du compassionnel mercantile. Au fond, la misère n’est qu’un spectacle alors, à toi de te glisser dans le rôle.


L’ennui avec Loïc Petitjean, c’est qu’il est piètre acteur : il surjoue tellement le cinéaste indigné que personne ne le prend au sérieux. Jusqu’ici, rien de ce qu’il a réalisé ne s’est révélé payant. Il a beau s’appliquer à singer le discours et les manières des grands noms du cinéma social, tous le prennent pour ce qu’il est vraiment : un loser à l’égocentrisme bouffi, au narcissisme complaisant, toujours à côté de la plaque. Peut-être subodorent-ils que Loïc est un imposteur : même s’il ne l’avouera jamais, le cinéma engagé n’est pour lui qu’un pis-aller qui l’emmerde profondément et son film préféré est Bienvenue chez les Ch’tis. Mais cette fois, la chance pourrait tourner : son dernier long-métrage, Sans-papières sans frontières, dans lequel joue Malika, une authentique "sans-papière" est sélectionné dans un festival belge de films francophones. Hélas pour lui, il ne s’agit pas du prestigieux Festival International du Film Francophone de Namur mais du modeste Festiv'off de Wépion, bourgade mosane plus connue pour la qualité de ses fraises que pour son cinéma militant. En outre, il s’avère assez rapidement que Malika ne joue pas le jeu, qu’elle préfère le strass et les paillettes à une tente et un sac de couchage au parc Maximilien de Bruxelles. Et comble de malheur, sa plastique affriolante risque bien de voler la vedette au réalisateur, évincé des plateaux de télé au profit de son actrice principale. Jusqu’au jour où la belle clandestine se fait arrêter par la police, ce qui va susciter parmi les festivaliers une vague d’indignation qui tombe à point nommé.


Le Triomphe de Namur est une lecture jubilatoire qui réussit à faire rire tout en dénonçant l’industrie humanitaire, l’imposture d’un pseudo cinéma contestataire, l’indigence du langage et des idées propre à la culture du bonisme. Le héros dont on suit le point de vue tantôt cynique tantôt désabusé est un vrai connard gonflé d’auto-suffisance, réjouissant de mesquinerie, de lâcheté, de machisme et même de racisme primaire. Faux compassionnel mais vrai salaud, comme on pourra s’en rendre compte à la fin du roman. Caricatural ? Pas si sûr, après tout : l’hypocrisie, plus que jamais, est un vice à la mode que Stefan Liberski épingle avec beaucoup de justesse et de drôlerie dans ce cinéroman.

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le 12 mai 2019

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No_Hell

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