Ce roman prend pour cadre un épisode de la Shoah. L’auteure a une plume alerte et sait faire vivre une époque, un cadre. Bon équilibre entre les points de vue (journal intime ou omniscient). Le récit commence dans la Vienne des années ’20, ville électrique, foisonnante de culture et d’idées, telle que la décrit avec amour Stephan Zweig dans Le monde d’hier ; je pense que l'auteure s'en est inspirée, c'est très vivant et documenté (les gens, les lieux...) Arrivent les années ’30. Parmi la bourgeoisie cultivée, nombre de familles juives se croient à l'abri des menaces des Nazis et renâclent à partir jusqu'au dernier moment. C’est le cas des héros de ce roman, qui se retrouvent ballottés dans un voyage plein d’effroi à travers l’Europe et les Océans. Coincés pendant un an dans un camp en Suisse, ils sont refoulés comme indésirables à Ellis Island, car le bateau portugais Quanza a été le dernier, en 1940, dont les émigrés juifs finissent par tous débarquer aux Etats-Unis (en partie grâce à Eleonore Roosevelt). Après ça, il n’y aura plus que des « indésirables », comme les passagers du Saint-Louis dont l’histoire déchirante est évoquée dans le superbe roman de Padura, Les Hérétiques (et qui finiront par être renvoyés en Europe, quelle honte). Heureusement, les Rosenheck avec leur petit garçon ne vivent pas ce drame. Il leur reste une possibilité de survie : accepter de partir en République Dominicaine participer à la création d’un kibbutz. Arriver à l’autre bout du monde, dans un pays exotique au climat tellement différent de l’Autriche, intégrer une équipe d’exilés, tous juifs et cimentés par le besoin de survivre, construire des bâtiments et se lancer dans l’agriculture alors qu’ils n’y connaissent rien, apprendre l’espagnol et rencontrer les Dominicains, tels seront les défis de cette nouvelle vie. On voit que l’auteure connaît très bien et adore ce pays qui est comme une deuxième patrie pour elle, et elle sait transmettre cet amour. Ses descriptions sont taillées à la serpe, pleines de couleurs et d’odeurs, on s’y croirait. Les relations qui se nouent au sein de cette troupe qui doit faire face aux difficultés ensemble sont bien rendues. Tous n’ont pas les mêmes opinions, que ce soit sur la dictature qui règne dans l’île ou sur les raisons d’être de leur petite communauté. Lire un roman sur la Shoah avec des protagonistes qui s'en sortent et prospèrent dans une belle aventure humaine est en soi un plaisir. Ce livre est le premier d’une saga familiale. Les autres tomes sont plus mièvres à côté du premier.