Avant tout, je dois avouer que je me suis fait flouer: je pensais que ce recueil de nouvelles de Ray Bradbury contenait "Un coup de tonnerre", une des histoires de voyages dans le temps les plus connues de la littérature. Raté. Bon, pas grave: Fahrenheit 451, du même auteur, fait partie de mes livres préférés, notamment grâce à sa superbe plume poétique. Découvrir le reste de ses oeuvres faisait donc partie de mon programme.

Finalement, ça aura plutôt été une déception. Le fait de publier ce livre dans la collection Folio SF est déjà une arnaque en soi: seules trois ou quatre nouvelles sur les 21 proposées dans ce recueil relèvent véritablement de la littérature de genre. Le reste, c'est de la littérature générale. Ce n'est pas un mal pour autant, bien sûr, mais le manque d'unité thématique du bouquin n'est qu'un symptôme d'un problème autrement plus grave: il est difficile de comprendre où Bradbury veut en venir. La plupart des chutes n'ont rien de percutant, ne justifiant en rien le développement de toutes ces petites histoires emplies de détails qui n'aboutissent à rien de véritablement concret. Car la plume de l'auteur, à la fois précise et poétique, fait monter une espèce de tension, comme si la lenteur descriptive dont il fait souvent preuve ne faisait que précéder une conclusion capable de nous retourner le cerveau. Et puis, POUF ! Le soufflé retombe et il ne s'est en fait rien passé. Tout ça pour ça ? Ben oui.

Bref, on s'emmerde souvent. On est balancé dans des espaces-temps assez différents les uns des autres (en Irlande, au Mexique, aux USA, sur Mars,...), on ne peut nier la richesse des décors proposés, mais pourquoi diable faire tant de chichis si on n'a rien à raconter ?

"Tyrannosaurus Rex" nous dépeint le drame d'un créateur de monstres old-school (veine "Harryhausen") pour le cinéma. Très immersif au début, la fin m'a fait soupirer d'ennui.

"Vacances" décrit une fin du monde où ne subsistent que 3 personnes. Ces gens sont tristes, s'arrêtent un instant puis repartent. Super...

"Presque la fin du monde" est encore pire. Là, c'est même pas poétique. C'est juste insensé et il m'a été impossible d'y croire une seconde. L'idée sous-jacente n'est pourtant pas mauvaise, mais son traitement est grotesque.

"Les sprinters d'hymne". Des Irlandais organisent des sprints dans les salles de cinéma. Original et avec des personnages attachants, mais la fin se laisse trop aisément deviner pour exciter qui que ce soit.

Etc, etc..

Dieu merci, Ray Bradbury étant tout de même un grand écrivain, il devait forcément y avoir quelques petites choses pour relever le niveau. Disons-le tout net, de véritables bijoux sont à découvrir, malheureusement bien trop rares:

"Le petit tambour de Shiloh": un petit garçon pris dans la guerre est réconforté par un général. J'ai eu des frissons rien qu'à lire le dialogue.

"Jeunes amis, faites pousser des champignons": une histoire typique de science-fiction des années 50, donc pas très originale, mais le traitement, lui, l'est: la menace est entièrement découverte par l'intuition des personnages, et non par des indices consistants ! Il faut lire pour comprendre... De plus, l'ambiance est malsaine à souhait, même si on ne montre jamais rien.

"Certains vivent comme Lazare": ma préférée ! Un drame humain qui raconte l'amour impossible d'un homme et une femme sur une période de plus de soixante ans, à cause de la tyrannie d'une vieille femme qui ne veut pas mourir. Bourrée de réflexion sur le sens de la vie, de l'amour et du destin, cette nouvelle se pare du meilleur style de l'auteur, qui se dévore de la première à la dernière ligne. Un putain de chef-d'oeuvre qui nous remet au niveau de Fahrenheit 451 (sur un thème pourtant très différent).

" Un rare miracle d'ingéniosité": c'est la fin et la morale philosophique qu'elle dégage qui vaut le coup surtout: le rêve et l'espoir sont contagieux (ça fait moins fleur bleue dans le livre, je vous rassure).

"Le mendiant de O' Connell Bridge": deuxième chef-d'oeuvre du bouquin. Un couple bloqué à Dublin se fait régulièrement harceler par une troupe de mendiants aux abords de leur hôtel. L'histoire parlera à tout le monde grâce à un sujet de société indémodable et se révèle terriblement authentique, intelligente, drôle et terriblement triste à la fin. Je n'ai pas peur de dire que j'en ai eu les larmes aux yeux.

Voilà, 21 nouvelles pour seulement 5 très bonnes histoires dont 2 bijoux qui m'ont durablement retourné. Le reste est, au mieux, divertissant, avec des personnages souvent très bien écrits et des idées intéressantes, au pire carrément emmerdant et frustrant. Réfléchissez donc bien avant de l'acheter; il y a franchement plus urgent à se procurer, notamment dans la production de Bradbury: qui a dit "Les chroniques martiennes" ?
Amrit
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le 9 juil. 2012

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