De qui se moque-t-on ?

C’est l’histoire de deux petites connes qui répondent aux noms très hideux de Cathos et Magdelon, mais les pauvres elles aimeraient s’appeler Aminthe et Polixene pour être plus dans la hype. La hype à cette époque on appelait ça la Préciosité, mais c’était une hype genré. Que des femmes. Une poignée de donzelles éclairées qui voulaient participer au beau monde. En face, le summum de la hype masculine c’était d’être Honnête Homme. THE concept du 17è siècle. Un idéal de bagou, d’humour, de beauté, de culture et de négligence. Être un mec parfait mais de façon naturelle, un truc qui ne s’apprend pas. Sauf que les charlatans se bousculaient aux portes, tout le monde voulait être honnête homme mais personne ne l’était naturellement. Les précieuses c’était juste des femmes qui voulaient aussi être Honnêtes Hommes mais qui pouvaient pas puisqu’elles étaient des femmes.

Et puis Molière a écrit cette petite farce sur les précieuses. On sait pas de qui il se moque, on saura jamais. De toutes les précieuses ? Ou seulement de celles qui se ridiculisent ? Les gens qui disent savoir, mentent. Tu pourras lire des centaines de bouquins imbuvables sur le sujet, t’auras toujours pas ta réponse. Dans sa farce il met des ingrédients inhabituels, et c’est ça qui est bon. Il y a du dialogue gonflé de biatcheries, des répliques qui tournent à vide mais qui font semblant du contraire, et puis surtout de l’actualité, là où d’autres écrivaient des pièces d’un autre temps. Molière il parle d’un truc qu’on avait sous les yeux. C’est pas exclus qu’il y ait eu dans la salle quelques unes de ces précieuses, c’est pas exclus non plus qu’elles aient tiré la gueule.

Et donc cette farce c’était de faire passer un valet nommé Mascarille (les noms de merde pleuvaient à l’époque) pour un honnête homme auprès des deux pimbêches. Et le gars s’en tire très bien. Il sort des tirades ridiculement mielleuses, il fanfaronne, il parle de Burton et de Xavier Dolan, le tour est joué. Les femmes sont conquises, elles rient et tu connais le proverbe. Tout ça pour prouver le caractère factice de ces précieuses. N’importe qui peut les imiter, surtout que celles-ci en tiennent une couche. Dès la première scène, elles sont là, elles demandent l’heure sans arrêt, elles se présentent mal, elles tiennent pas la conversation. Ca a dû t’arriver à toi aussi de tomber sur ces meufs qui voulaient faire bon genre et qui du bas-fond de leur inculture te regardaient tout de même de haut. Souvent tu les croisais au bal des pompiers, fières de leur allure, traînant avec Jonathan. Bein avant on les croisait à la cour et c’était pas mieux.

Le truc qui me chiffonne tout de même, c’est que les précieuses c’est toujours par leurs ennemis qu’on en entendait parler. D’ailleurs, aucune femme ne se disait «précieuse», mais tous les hommes, eux, prononçaient le mot. Molière également. Lui son but c’était de défendre l’idéal de l’Honnête Homme contre la supercherie de l’Honnête Femme. Un gros doigt d’honneur levé à ces femmes ridicules. Aujourd’hui ça lancerait un froid dans la salle et Clémentine Autain rappliquerait aussitôt. À l’époque c’était à se taper le cul par terre.