Voilà un chef-d’œuvre de la littérature américaine qui n'est plus à présenter. Le récit précis et angoissant des émigrants américains, fuyant la misère rurale des vastes plaines de l'est pour chercher leur salut en Californie, là où dit-on les terres sont fertiles et le travail à volonté. On y suit les pérégrinations, les espérances et les désillusions, de la famille Joad et - à travers eux - celles de toutes les familles de "Okies" de manière générale, victimes de la Grande Dépression des années 1930. Certes l'ouvrage est particulièrement dense et fourni, il faut s'y atteler avec courage. Le style épouse l'argot de l'époque et les descriptions y sont pointues, ce qui demande un certain temps d'adaptation pour entrer dans l'intrigue qui, de toute façon, démarre lentement. Mais le récit devient de plus en plus poignant au fur et à mesure de la lente progression de la famille vers l'ouest et atteint son paroxysme dans la troisième partie, à leur arrivée en Californie.
Les Raisins de la colère est un récit d'expériences, de personnages, des illusions brisées du rêve américain et de la progression inéluctable de la misère qui semble toujours aller croissant et qui révèle les plus bas-fonds de la nature humaine. Alors que j'attendais assez naturellement la résolution de l'intrigue, le fil de la lecture finissait par me faire accepter que je n'aurai probablement jamais la réponse à certaines interrogations posées tout au long du roman:
La famille Joad finira-t-elle par reconstruire sa vie? Que sont devenus Noah et Connie? Et Tom? La révolte finira-t-elle par éclater en Californie?
En effet, toute la richesse de ce livre repose dans la nature de ces personnages auxquels il est difficile de ne pas s'attacher après plus de 600 pages de compagnie étroite et de misère partagée. Tous, les uns comme les autres, avec la variété de leurs caractères souvent trempés, leurs espoirs et leurs projets mais aussi et surtout leurs peurs, leurs angoisses et leurs regrets constituent un ensemble fort et incroyablement prenant. J'ai particulièrement apprécié le personnage de la mère de famille (Man) qui prend le contrôle moral de la famille au fur et à mesure du récit et qui semble incarner à elle seule la force maternelle inébranlable, le courage de toute l'humanité meurtrie et le dernier rempart à la désintégration de la famille. Un vrai symbole !
Enfin, la construction de la trame narrative en chapitre qui alterne le récit de la quête de la famille Joad et les tableaux divers de la misère des migrants américains au sens large est particulièrement brillante. Ces derniers sont souvent de purs bijoux de littérature !
Les Raisins de la colère est donc un incontournable de la littérature américaine, il faut le lire pour le comprendre. Mais il est d'autant plus intemporel que, 70 ans après, il offre un incroyable et terrible écho à notre actualité, notre système économique et notre monde moderne.