En commençant ce livre je me disais que je mettrai une note de 6/10. La moyenne, une note correcte pour un livre correct. Mais sans plus. Parce que certaines choses m'énervaient. Qui était donc cette Léa Frédeval pour écrire un livre sur cette « Génération Y », ma génération ? Pourquoi elle et pas un(e) autre ? D'ailleurs le terme Génération Y est une expression à la mode, un mot fourre-tout inventé par les vieux et les médias (donc les vieux car on sait que ce sont eux qui contrôlent ces derniers) On en parle le matin à la radio en disant que tout n'est pas rose pour cette génération. On en parle le midi avec des journalistes s'extasiant devant ces jeunes-trop-connectés-houlala-que-c'est-étonnant-ça. On en parle le soir avec des sujets chocs façons « ces sales jeunes délinquants qui agressent des mémés dans la rue parce que y'a plus de jeunesse et que d'mon temps c'était mieux » (et c'est là que mon côté Godwin me titille mais je résisterai à faire des références aux nazis et à Pétain, j'en fais suffisamment quand j'ai bu). Bref la Génération Y, ces personnes qui auraient entre 18 et 35 ans, sont en passe de devenir un produit de consommation comme les autres, un logo, une marque, bref un truc qui fait vendre. Et ce bouquin j'ai commencé par le voir comme ça. Je me suis dit qu'il devait s'agir un petit coup marketing savamment orchestré, que les vieux avaient trouvé une nana bien dans la dèche comme il faut et qu'ils lui avaient fait pondre un livre pour surfer sur la vague.

Et puis je me suis dit que je raisonnais comme un vieux con. Ce bouquin je l'ai bouffé en 3h montre en main. J'ai rarement été en désaccord, à part peut être sur le chapitre concernant l'amour (mais j'y reviendrai) En fait je n'ai pas lu le livre d'un(e) autre. J'ai vu ma vie. Oh certes peut être pas exactement ce que j'ai vécu car je suis un étudiant de province. Mais le sentiment général de ce livre m'a parlé. Les (re)sentiments, les doutes, la colère, les questions (nombreuses), les égarements, le yoyo perpétuel du moral entre euphorie communicative et abattement soudain, les injustices subies au quotidien et les petits bonheurs qui peuvent faire naître de grandes choses, cette envie de bouffer la vie face à l'injonction de nous taire et d'être raisonnables.

C'est donc au travers de quatre chapitre que Léa Frédeval tente de brosser un portrait aussi exhaustif que possible de la jeunesse actuelle. Ou plutôt des jeunesses. Car l'auteure prévient d'entrée de jeu : elle n'a pas prétention à se faire le porte-étendard de l'ensemble des Y. Bourdieu le disait à juste titre : « la jeunesse n'est qu'un mot ». Et bien sot serait celui qui voudrait englober dans ce terme une uniformité de comportements. Car d'uniformité il n'y a pas. Quel(s) point(s) commun(s) y a-t-il entre un étudiant issus des beaux quartiers parisiens et un fils d'ouvrier du Nord ? Et pourtant, pourtant, certaines habitudes se retrouvent chez beaucoup de jeunes. Cette croyance mitigée en l'avenir et cette hyper-connexion, ces stages à gogo ne débouchant sur pas grand chose, j'en passe et des meilleurs.

On pourra reprocher beaucoup de choses à ce livre. Le fait que l'auteure soit parisienne par exemple. Non pas que je haïsse les parisiens mais il devient lassant à la longue de n'avoir pour exemple que des personnes venant de là-bas. Paris, cette ville qui vampirise toute l'attention dans notre pays, à croire qu'au-delà de ses murs, les gueux n'existent pas. La vie d'une jeune à Paris n'a pas grand chose à voir avec celle d'un autre de province. Pourtant les problèmes existent, différemment mais ils sont bien là. Mais soyons bon joueur Léa Frédeval n'y est pour rien et reconnaît bien volontiers que son cas n'est que celui d'une parisienne et non de la majorité. On pourrait également reprocher le fait qu'à vouloir brosser un portrait aussi exhaustif que possible des jeunesses de France on en vienne à survoler très (trop) rapidement certaines thématiques.

On pourrait reprocher tout cela oui mais Léa Frédeval est consciente de tous ces micro-défauts et s'en excuse à plusieurs reprises. Et rien que pour ça on pardonne et on s'immerge à 100 % dans la lecture. Pour ceux ayant plus de 35 ans le récit sera peut être une simple complainte, celle d'une jeunesse trop gâtée et qui ferait mieux de se retrousser les manches et d'arrêter de geindre. Entre nous ceux-là n'ont rien compris à ce livre. Car ce dernier est nécessaire. Il n'est peut être pas parfait mais c'est le premier jalon d'un édifice que notre génération se doit de construire. Nous sommes hyper-connectés mais n'avons jamais été aussi désunis. Nous avons les moyens de nous parler tous les uns les autres, quelle que soit l'heure, quelle que soit l'endroit mais nous ne nous sommes jamais senti aussi seuls. Prendre conscience de ce qui nous unis, ce qui fait que nous sommes des jeunes d'aujourd'hui, voilà ce pourquoi ce livre est fait. Et pour ma part je trouve qu'il y contribue grandement.

Chaque chapitre traite de la vie de Léa Frédeval, de son ressenti, de ses envies et de ses doutes. Ils ne regardent qu'elle et pourraient être pris comme le simple témoignage d'une jeune en 2014. Pourtant la philosophie de cet ouvrage, ce qu'il dégage, peut toucher n'importe qui d'entre nous. Et il m'a touché. Que cela soit le rapport à la drogue, à l'alcool ou à l'administration des université (léviathan moderne, sorte de synthèse entre un univers aseptisé et l'Enfer), les exemples cités sont d'une incroyable pertinence et m'ont rappelé mille et un souvenir, bien que je les ai vécu différemment. Ce livre est fait d'un incroyable amalgame de petits rien qui font un grand tout quand on les met en perspective avec notre vécu personnel.

Chère Léa, je ne sais pas si tu liras cette chronique (mais j'ose espérer que le miracle de la technologie te mènera jusqu'ici) mais sache que j'ai beaucoup aimé ton livre. Il est loin d'être parfait. Je n'ai pas aimé ce ton « djeuns » que tu adoptes régulièrement comme s'il fallait coller aux stéréotypes que les vieux ont sur nous. Je n'ai pas été d'accord avec toi sur ton chapitre sur l'amour (mais c'est plus par philosophie personnelle que par manque de fond). J'ai râlé sur pleins de petits défauts distillés ça et là dans ton ouvrage. Mais ces défauts n'enlèvent pas ce qu'est réellement ton essai : un petit morceau d'humanité, le début (je l'espère) de la construction d'une nouvelle société, notre société, celle que notre génération construira sur les ruines fumantes de la société de nos vieux en freestyle complet. Ton livre est peut être un brin timide mais il faut bien un début à tout et c'est un bon début. Je me suis reconnu dans ce que tu disais, je nous ai imaginé enchaîner les bières jusqu'à pas d'heure, la chaîne hi-fi diffusant nos musiques pendant que les idées fuseraient en tout sens. Alors Léa, en attendant peut être ce jour (l'invitation pour une soirée bordelaise est lancée) laisses-moi te remercier pour ton livre. Tout simplement.
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le 22 mars 2014

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