Voilà un sympathique roman qui possède un postulat de départ intéressant.


Si la SF a déjà longuement questionné la problématique des intelligences artificielles, de l'humanité ou non des androïdes ou du péril que peuvent représenter les robots, John Scalzi adopte ici, sur toutes ces questions un point de vue intéressant, peut-être même inédit, (mais vu l'imagination débordante des auteurs de SF, je me garderais bien d'être catégorique sur ce sujet).


Alors quoi de neuf sous le Soleil ?


Ce roman se déroule aux États-Unis, 25 ans après une épidémie redoutable qui a frappé le monde : le syndrome Haden, une maladie dégénérative du cerveau qui a entraîné la disparition de millions de personnes à travers le monde.


Toutes les personnes touchées par ce fléau, ne meurent pas. Certaines en ressortent avec des lésions plus ou moins grave du cerveau, et d'autres restent enfermées dans leur corps, tout en restant parfaitement fonctionnelles d'un point de vue neurologique (d'où le titre. Spoiler en carton vu qu'on apprend tout ça avant même d'entamer le roman proprement dit).


La recherche scientifique a donc été axée sur le cerveau pendant plusieurs décennies, permettant de sensibles avancées et apportant aux malades moult améliorations de leur sort. Ainsi, les "Hadens", comme on les appelle, peuvent communiquer avec l'extérieur depuis que des implants reliés à leur encéphale leur permettent d'interagir avec l'extérieur, soit par des dispositifs de restitution du son, soit par le biais d'androïdes, des Cispés (en hommage à Z6PO) qui leur permettent même de se mouvoir parmi les "valides".


Voilà pour cette (trop long) mise en situation.


Le héros du roman est un tout jeune agent recruté par le FBI, qui a aussi la particularité d'être un haden et de se mouvoir via un androïde. On le suit sur sa première affaire, qui se déroule dans un contexte houleux, alors que les hadens vont être privés des subventions de l'État, livrant les plus pauvres d'entre eux au dénuement total, les soins devenant pour eux inabordables.


Et c'est en ça que le roman est intéressant. Il ne s'agit plus ici d'androïdes dont on questionne l'humanité, mais de personnes qui utilisent des androïdes comme réceptacle pour interagir avec le monde, se créant leur propres codes, leurs propres habitudes et coutumes, de plus en plus en décalage avec le reste de la population.


Cela suscite au fil du livre de nombreux questionnements sur la cohabitation entre ces "hommes nouveaux" et la population valide qui vit plus ou moins bien de partager l'espace public avec des robots, souvent perçus comme des parasites par une partie de la population.


On leur reproche notamment d'avoir été la source de milliards de dollars dépensés par l'État pour financer les recherches sur le syndrome Haden (qui ne touche qu'une faible part de la population finalement), ceci au détriment des autres problèmes du pays.


La société post-épidémie décrite par Scalzi est criante de vérité, et on pourrait sans peine y trouver des échos à des débats récents ayant secoué les USA tel que l'Obama care par exemple, dont le programme de subventions en direction des Haden sonne un peu comme un écho.


De même, à travers ces enfermés dans leur propre corps, on retrouve en filigrane la question des handicapés et de leur difficile insertion dans la vie de tout les jours. En effet, les "Cispés" sont victimes de préjugés (on les croit indestructibles et donc plus enclin à s'en prendre violemment à des êtres de chair), on leur interdit l'accès aux restaurants ou aux bars puisqu'ils ne consomment rien, ou on leur refuse des chaises puisqu'ils ne se fatiguent pas...


Bref, tout n'est pas rose aux USA, et le récit se teinte même d'un petit côté "lutte pour les droits civils" de fort bon aloi.


Les personnages campés par Scalzi sont, comme toujours, très attachants et servis par un art du dialogue consommé. L'intrigue elle-même relève du thriller technologique et si je peux lui reprocher un petit côté angélique dans son dénouement, cela ne suffit pas à en gâcher la lecture.


Un roman dense et foisonnant, malgré sa taille somme toute moyenne (un peu moins de 350 pages de récit). À noter que le roman se termine sur un petit dossier expliquant les grandes lignes de l'épidémie et de sa résolution sous la forme de divers témoignages de médecins, hommes politiques, inventeurs, un peu à la manière d'un World war Z. Un ajout pas indispensable, mais qui se lit tout de même sans déplaisir.

M_le_maudit
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le 18 mars 2016

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