La date de la fin de la guerre d'Espagne est connue : le 1er avril 1939. Mais au-delà de ce jalon officiel, le combat intérieur a duré bien plus longtemps, tant que Franco a vécu, du côté des vaincus, pour les "rouges", notamment. Almudena Grandes n'a jamais caché où se situaient ses sympathies et elle a entrepris depuis quelques années un travail littéraire gigantesque sous le nom d"Episodes d'une guerre interminable" qui sera constitué à terme de 6 romans. Les trois mariages de Manolita est le troisième volet de cette saga et se concentre sur ces terribles années d'après-guerre avec la politique de répression vis-à-vis des ennemis d'hier, des emprisonnements et des fusillades innombrables dans une Espagne exsangue où survivre relevait déjà de l'héroïsme. Manolita, fille d'un républicain fusillé, soeur d'un combattant dans la clandestinité, est au centre du livre. Elle a pour tâche de s'occuper de ses soeurs cadettes et de frères jumeaux, de les empêcher de mourir de faim, tout simplement, tout en gardant sa dignité et en voyant ses amis tomber les uns et les autres. Sans oublier de donner un coup de main à la cause, quand le besoin s'en faisait sentir. Manolita n'était pas née pour le courage, elle l'apprendra au quotidien dans un Madrid gris, triste et hagard que la romancière décrit avec un sens du détail formidable. Mais le livre ne parle pas que de Manolita, il se fait choral, exsude la peur et les trahisons, les rancoeurs et les souffrances. Le roman pourra apparaître désordonné avec une construction peu linéaire qui abandonne son héroïne pendant des dizaines de pages, pour évoquer d'autres figures marquantes de cette période, par exemple Isabel, la jeune soeur de Manolita, enfermée dans une pseudo école où les nonnes exploitaient une main d'oeuvre gratuite sans vergogne, et qui se détruisit les mains avec la soude employée pour faire la lessive. Cette même Isabel, que l'on retrouve dans la postface du livre, à 80 ans, car c'est sa véritable histoire qu'Almudena Grandes a fait revivre dans Les trois mariages de Manolita, entre autres récits qui s'entrelacent et se déploient sur plus de 700 pages. S'il est au début difficile à suivre à cause de son trop plein de personnages, le roman est sans nul doute le meilleur des trois parus jusqu'alors dans cette fresque d'Une guerre interminable. Il contient quelques scènes incroyables, notamment en prison, quand femmes et fiancées de prisonniers fraternisent et se remontent le moral dans une atmosphère délétère. On attend évidemment la suite car rares sont les écrivains comme Almudena Grandes qui savent marier petite et grande histoire avec autant de maestria.

Cinephile-doux
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le 17 déc. 2016

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Cinéphile doux

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