Ah, putain, le sale livre.
Celui qu'on aurait voulu ne jamais lire. Celui ou notre Cavanna nous fait comprendre qu'à 90 ans passés et à cause de cette sale maladie qui l'accable désormais (Parkinson, dont les trop rares moments d'accalmie sont surnommés "lune de miel"), il s'agit sans aucun doute de son tout dernier livre.
L'écriture devient presque impossible (on le connait et il le dit, le garçon est allergique à tout autre technique que celle consistant à tenir un stylo et l'appliquer contre une feuille de papier), et la transcription de ses illisibles gribouillis tient, au fil du temps, de plus en plus du miracle.
Donc c'est sans doute le der des ders, et cette simple idée, pour un amoureux de Cavanna comme je le suis depuis tant d'années, est odieuse.
Ce sont donc des souvenirs, qui resurgissent pêle-mêle, la guerre, Maria, les années Hara-Kiri, Charlie-Hebdo, des réflexions sur la vie qui est désormais la sienne.
Le style est forcément là, et il est heureux de constater que si le corps perd pied peu à peu ("sa vieille carcasse") l'esprit reste sacrément vif et aiguisé, et la difficulté que ce dernier a à rejoindre le bout de la plume et le papier ne l'empêche pas de continuer à nous ravir avec la même drôlerie parfois féroce.
Et puis les dernières pages, en forme de conclusion d'une vie, nous prennent à la gorge, par leur lucidité, leur sincérité, la beauté de ces dernières réflexions d'un homme sur sa vie, une vie qui a ressemblé a peu d'autres, d'autant plus touchantes qu'on sait désormais que ce sont les dernières lignes de quelqu'un qu'on a tant aimé, et qu'on aimera encore jusqu'à notre propre fin.
Il à la fois presque insupportable et inespéré, tragique et magnifique de partager l'intimité d'un tel bonhomme pendant ses derniers instants (ses apparitions dans Charlie Hebdo se raréfient elles aussi) et on espère que cette fin sera la plus lointaine et sereine possible, même s'il ne peut plus nous faire partager sa vision pétillante et passionnante de la vie et de l'histoire.
Allez, Salut François.
Je ne te remercierai jamais assez pour tout ce que tu m'as apporté.