Henri Guillemin est de la race des François d’Assise, Edith Stein ou Gilbert Cesbron : un doux. Quand un garçon normalement constitué est confronté à l’épopée impériale, il vibre au son des tambours et des canons, s’écrie : « vive l’Empereur » et s’imagine vainqueur et déjà décoré. Guillemin souffre avec les enrôlés de force, les terrifiés, les éventrés. Il ressent la souffrance de la mère épeurée et du père effondré. Un pacifiste, direz-vous ! Pas seulement. Guillemin est définitivement du parti des petites gens. Pour lui, le monde se clive irrémédiablement entre les riches, les puissants, les bourgeois, tout en haut, et, dessous, les pauvres, les humiliés, les crève-la-faim. Guillemin ne fait pas dans la dentelle, il récuse toute notion de classe moyenne, voire toute autre idée de solidarité nationale, régionale ou locale. Il n’y a point de bons maîtres, de seigneurs aimés, de chefs adulés. Une fois admis ce prisme de lecture, un tantinet réducteur, son livre est passionnant. Je jeune Napoléon est un aventurier, un caïd corse, qui parvint à mettre la main sur la France en s’appuyant sur la terreur de la haute bourgeoisie effrayée par Robespierre et ses sbires égalitaristes, puis à se maintenir au pouvoir, 20 années durant, en ralliant à lui les anciennes élites royalistes. Ne rétablit-il pas la propriété et la religion ! Ne s’engagea-t-il pas solennellement le jour de son couronnement, en présence du pape et de l’élite du pays « à respecter la Constitution, l’irrévocabilité de la vente des biens nationaux, et à préserver les acquis de la Révolution française. » Étrange formule qui sent bon la défense des (plus ou moins) biens acquis.


Si dans ses conférences télévisées Guillemin va, emporté par sa détestation, jusqu’à nier à l’empereur tout génie stratégique ou politique, son court pamphlet élude le sujet. Il met de côté l'homme d'État, le stratège de génie, le meneur d'hommes pour n'étudier que l'homme et sa motivation intime. Il s’intéresse à son âme, il sonde ses reins et son cœur. Il s’empresse de récuser ses écrits officiels, destinés à bâtir puis entretenir la légende dorée, pour ne relever que ses confidences. Or, comme tout orgueilleux, Napoléon a trop parlé, il s'est livré à ses proches qui se sont hâtés de publier leurs souvenirs. Ils décrivent, par petites touches ; que Guillemin réunit avec talent ; un monstre d'ambition, un formidable opportuniste, tour à tour paoliste en Corse, aristocrate avec les royalistes, révolutionnaire attaché à Robespierre, puis à Barras, toujours avide d'argent et de pouvoir, monstre de pragmatisme et dénué du moindre scrupule. Il échoue à mettre la main sur la Corse, conquiert et pille l’Italie, débarque en Égypte, simple étape vers les richesses de l’Inde… Sèchement battu à Saint Jean d’Acre, il abandonne son armée et rentre en France… La suite est dans toutes les mémoires.


« Ma politique est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l'être… C'est me faisant catholique que j'ai fini la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j'ai gagné les prêtres en Italie. Si je gouvernais un peuple de Juifs, je rétablirais le temple de Salomon. » Bonaparte au Conseil d'État, le 1er août 1800.

SBoisse
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le 29 mai 2017

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Step de Boisse

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