Jean Anouilh mérite mieux que son statut d’auteur de la seule Antigone. N’a-t-il pas écrit 47 pièces en cinquante ans, toutes jouées avec succès dans les salles dites de boulevard. Un triomphe populaire méprisé par les critiques qui lui préféraient Brecht ou Artaud. Le théâtre d’Anouilh raconte, avec des mots simples, des histoires de tromperies, jalousies et revanches. Ses personnages soliloquent, discutent, crient… autant de phrases où l’humour vire, souvent, à l’ironie. On s’y blesse cruellement, on s’y tue plus rarement. L’homme est un loup pour l’homme et ses bontés extérieures masquent conventions sociales ou besoins de se faire plaisir. Il y a du Molière dans ce dramaturge, ils partagent le même souci de l’observation, du mot juste, mais aussi de la troupe de comédiens réunie autour d’un texte. Plus encore, il ressemble à Georges Simenon, ces deux monstres sacrés du public furent deux autodidactes qui ne crurent qu’en eux-mêmes. Tous deux produisirent de simples récits, tous deux furent raillés par les savants, tous deux s’exilèrent en Suisse pour des raisons fiscales. Anouilh se distingue du père de Maigret par l’angoisse, la peur de faillir. « Nous sommes des écorchés vifs, mon vieux. Si vous croyez que c’est une vie de passer son bachot tous les ans ! » (La Grotte).


Le premier rôle de Ne réveillez pas Madame est un metteur en scène qui tient son premier triomphe. Julien est le fils d’une comédienne et d’un brave type qui survécu peu de temps à la (première) guerre et à une tentative de suicide. La pièce est audacieuse, elle multiplie les sauts dans le temps et l’espace. Nous l’observons diriger la répétition de sa pièce et… des précédentes, tiraillé entre Aglaé, la femme qui ne l’aime plus, Rosa, sa première épouse qui l’a peu aimé, Maureen, la baby-sitter amoureuse et sa mère, si frivole. « Mais le rêve ça reste des rêves… Et les femmes, dès que ça arrête ses mains, ça rêve à ce que ça aurait pu être si ça n’avait pas été ce que ça est. » Son ami, ses collaborateurs, ses femmes et leurs amants, tous jouent la comédie. Julien découvrira que le succès et l’argent se paient de solitude affective et d’égoïsme. « J’ai généralement assez bonne conscience mais, tout de même, je finis par me demander s’il n’y pas là davantage qu’une coïncidence. »


Une dernière tirade, pour le plaisir : « Au fond elles (les femmes) ont plus de courage et de logique que nous. Le vrai principe de vie, du temps qu’on était un peu aquatique, c’est elles qui l’ont gardé, dans le secret de leur ventre… Dans les épreuves, dans les exodes, les épidémies, les hommes tombent comme des mouches. Elles, elles tiennent. C’est tout fragile, tout souffrant, mais ne vous y trompez pas : ça s’adapte. Ça fait des veuves – solides. »

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le 26 janv. 2017

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Step de Boisse

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