Plateforme
6.9
Plateforme

livre de Michel Houellebecq (2001)

Deux choses qu'on ne peut nier à MH il est inesthétique au possible et il est un formidable écrivain.
Aucun sujet ne l'effraie ou ne le rebute. Ici le tourisme sexuel Thaï à travers une galerie de personnages plus vrais que nature malhabiles et claudicants. Empêtrés dans leurs certitudes de petits bourgeois et complices sans le savoir de la misère du monde qui les entoure ils baladent leur esprit étriqué d'occidentaux fortunés croyant ainsi fuir leur réalité maussade. Le théâtre d'une condition humaine malsaine et un peu dégueulasse ouvre ses portes au lecteur.
Ses saillies acerbes et poilantes, au vitriol ( le second couple : ils donnaient l'impression de ne pas avoir baisé depuis trente ans ! / Je fixais très attentivement les deux pouffes, afin de les oublier à tout jamais / Josiane était prof de lettres c'était tout à fait le genre de salopes qui m'avaient fait renoncer à mes études littéraires...), le malaise nauséeux de son personnage principal dépité qui découvre finalement l'amour vrai et qui n'est autre que lui même, la haine pour son père (Mon père était un con solitaire et barbare "in A la poursuite du bonheur") que l'on sent dès le début de ce Plateforme, ce père guide de haute montagne qui le hante comme antithèse de sa propre personne (s'il avait fait tant de sport c'était pour s'abrutir, pour s'empêcher de penser. Il avait réussi : j'étais persuadé qu'il avait réussi à traverser la vie sans jamais ressentir de réelle interrogation sur la condition humaine), sa vision lucide et franche de certains aspects de notre société ( Je n'ai rien à attendre de ma famille. Non seulement ils sont pauvres mais en plus ils sont cons. Il y a deux ans mon père a fait le pèlerinage à la Mecque ; depuis il n'y a plus rien à en tirer. Mes frères c'est encore pire : ils s'entretiennent mutuellement dans leur connerie, ils se bourrent la gueule au pastis tout en se prétendant les dépositaires de la vraie foi et ils se permettent de me traiter de salope parce que j'ai envie de travailler plutôt que d'épouser un connard dans leur genre.), la crudité assumée de son propos (je me masturbai légèrement pour aborder ma lecture ; il y eut quelques gouttes / Il proposa à Valérie une double pénétration. Elle accepta à condition que ce soit moi qui la sodomise) encore une fois moteur de la véracité quotidienne, cette apparente facilité de lecture que l'on ressent sont autant d'exemples probants de son authenticité et des qualités de sa plume.


La pornographie imprègne notre monde et donc elle imprègne les livres de MH.


Analyse plus complète du propos de MH sur l'Islam : https://www.senscritique.com/livre/Soumission/critique/233487205


Tout y passe dans sa vision de notre société moderne. Il jongle avec les sujets les plus sérieux ou les plus glauques les mêlant sans vergogne ou pudibonderie. En trois pages il aborde et donne une vision réaliste du monde agricole porcin puis envoie un passage saphique sans que l'on trouve rien à redire.


Le plaisir est là ! Celui de cette écriture libérée de toute contrainte, qui ne se cache pas et qui n'a pas honte du regard de l'autre, de son lecteur. Celui de cette lecture émaillée de sourires, de haussements de sourcils, de mimiques vraiment ou faussement offusquées, une lecture qui donne envie de tourner les pages parce qu'elle dévoile ce qui est là devant nous mais que certains refusent de voir ou ne peuvent pas comprendre.
Enfin plaisir de cette vérité sous-jacente qui transparaît, qui transpire, ou suppure. Parfois elle te saute au visage parfois il faut la chercher dans le labyrinthe des mots.


Oui, lire un auteur qui sort de la langue de bois est jouissif. On a l'impression d'être moins seul. On a l'impression que quelqu'un partage votre vision, celle dont vous n'osez pas parler, que vous aimeriez hurler sans le pouvoir faute de mots et parce les ressorts humains en bloquent la perception. Lui il la divulgue, il la porte. Vanité de croire que MH veut ou peut changer les choses mais au moins il ouvre les yeux, dit et parfois sa parole agit tel un baume vertueux qui protège de la médiocrité environnante.


Tout tient en deux mots, peur et décadence ! Peur du meurtre organisé étatisé qui détruit juste par haine ou par jalousie. Peur qui oppresse, opprime et soumet des hommes les poussant à des actes inqualifiables au nom de thèses sans fondement.
Décadence d'un monde occidental consumériste dépassé qui n'arrive plus à trouver le bonheur (je sais seulement que tous, autant que nous sommes nous puons l'égoïsme, le masochisme et la mort) ou plutôt qui l'achète en petites tranches de voyages paradisiaques d'où il revient insatisfait. Notre monde est moche mais MH s'en fout il baise à couilles rabattues idéalisant l'acte le plaçant au dessus de tout ce que la vie peut nous apporter. Il sait et affirme toutefois que cela ne durera pas que notre misérable condition nous permet quelques parenthèses fugaces de bonheur. C'est bien le premier livre de MH où je sens son personnage principal heureux et épanoui. Il découvre l'amour, il est transfiguré mais la tragédie est là toujours...En attente... En embuscade...Elle explose au sens propre et le voilà visionnaire, prescient, pour ramener le héros à son état initial. La fin se précise. Il est prêt pour le néant et l'attend comme une délivrance.
Pour nous, ce sera la même ! La tragédie viendra et nous délivrera malgré nous de cette quête insensée et absurde d'un bonheur marchandisé que MH estime inatteignable.

SombreLune
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs livres de Michel Houellebecq

Créée

le 25 mars 2018

Critique lue 1K fois

5 j'aime

13 commentaires

SombreLune

Écrit par

Critique lue 1K fois

5
13

D'autres avis sur Plateforme

Plateforme
Eneeria
2

Le cul, c'est la vie.

On m'avait vendu: - une discussion intelligente sur le tourisme sexuel et la prostitution - un roman sensible, plein d'humanité, de vulnérabilité et de misère sexuelle - un "regard cynique sur la...

le 2 déc. 2022

18 j'aime

13

Plateforme
-Alive-
9

En l’absence d’amour, rien ne peut être sanctifié

En nous ruant vers la liberté sexuelle dans un désir d’individualisme, persuadé que nous y trouverions notre salut, nous avons perdu l’amour. Et le personnage Houellebecquien n’est pas tant machiste...

le 11 nov. 2017

17 j'aime

8

Plateforme
Gand-Alf
5

Le temps détruit tout.

Avez-vous déjà vu un manchot affamé face à un bocal de cornichon ? Si oui, vous aurez une petite idée de mon expression à la fin de ce bouquin. Bon, je commence à être habitué au monde tel que le...

le 24 avr. 2013

12 j'aime

14

Du même critique

Never for Ever
SombreLune
10

Envoûté par la sorcière du son !

Est-ce que Kate Bush est une sorcière ? Oui ! Elle est une magicienne une grande prêtresse du son, du piano, des mélodies, des ambiances tour à tour éthérées, planantes, évanescentes voire surannées...

le 19 déc. 2015

24 j'aime

18

La Mort est mon métier
SombreLune
10

Les rouages de la solution finale

Que ce soit bien clair : préparez-vous à une plongée dans l'horreur ! La brutalité, la bestialité montrée, sans concession, sans pathos,sans arrondir les angles, sans rien cacher, sans se voiler la...

le 22 nov. 2017

24 j'aime

14

Corona Song (Single)
SombreLune
4

Pastaga tu m'auras pas !

J'étais tranquille, j'étais peinard à la maison en train de préparer l'apéro quand mon fils m'envoie un SMS pour me dire de regarder sur YouPorn, pardon je voulais dire YouTube la nouvelle chanson de...

le 11 juil. 2020

20 j'aime

17