Le titre que je choisis pour parler de ce livre ne doit rien au hasard. Dès les premières pages, je voyais dans ce Ludovic, ce grand colosse perdu dans Paris loin de sa verte vallée du Célé, le Frédi de François Dupeyron. Il y a la stature en commun, bien sûr, mais il y a aussi l'altruisme, l'empathie absolue qui rapprochent ces deux personnages.


On a beaucoup parlé de ce dernier livre de Serge Joncour, qui lui a valu cette année de remporter le Prix interallié. Repose-toi sur moi, c'est un beau roman, c'est une belle histoire, c'est une romance d'aujourd'hui. C'est le récit de deux solitudes qui se rencontrent. Elle, c'est Aurore, une styliste de renom à la tête de sa propre boîte, mère de famille et épouse d'un golden-boy américain. Lui, c'est Ludovic, un grand gaillard corrézien, qui a quitté l'exploitation familiale pour se reconvertir dans le recouvrement de dettes. Taiseux, discret et serviable, il vit dans un appartement modeste qui surplombe celui, luxueux, d'Aurore et des siens. Ces deux-là qui ne se croisaient qu'à la boîte aux lettres vont soudainement se rapprocher à la faveur d'un geste qu'il fera pour elle et qui sera le début d'une histoire d'amour, d'amitié et de fraternité parmi les plus émouvantes qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps. Une histoire qui permet à deux êtres que tout oppose de venir se percuter, pour notre plus grand bonheur.



Un homme qui se lance tête nue le matin sous une pluie diluvienne, c'était tout le contraire de ce qu'elle était elle, avec son parapluie ouvert et ses chaussures qui dérapaient. [...] sans le détailler, elle avait eu le temps d'apercevoir ça, un arc-en-ciel sur un K-way noir, cet homme se trimbalait sous l'eau avec un arc-en-ciel sur le torse, jambes et tête nues. Elle se dit que ce type semblait s'affranchir de tout, de la pluie, du froid, de tout ce monde, un être libre peut-être, ou parfaitement égoïste. Autour d'elle, ils marchaient tous tête basse dans le froid humide, au fond de leurs vêtements cachés sous de grands parapluies, alors que lui, il avait juste besoin d'un short et d'un K-way. Au milieu de ce ballet de gens pressés qui se croisaient en tous sens, elle eut l'image de tout un tas de choses superflues qui plombaient sa vie, des mesquineries et des menaces qui l'entouraient, l'image de cet homme la fascinait, simplement en rayonnant d'une densité minérale, naturelle, brute.



Il est question dans ce roman aux phrases amples et belles, à la narration parfaitement maîtrisée, de distance et de proximité, de ceux auxquels on ne fait pas attention puis qui deviennent des piliers de votre existence, de l'écoute, denrée rare actuellement, et du silence qui permet à l'autre de venir à soi. Il est question aussi des services que l'on rend sans rien attendre en retour, des attachements contre lesquels il est vain de lutter, des corps qui s'étreignent dans une sensualité bouleversante, et des surprises que peut offrir la vie si l'on accepte de s'abandonner.


Certains passages redonneraient envie de faire l'amour à un ermite abstinent.
Certains passages redonneraient foi en l'humain au plus misanthrope d'entre nous.
Certains passages redonneraient envie au plus Parisien des Parisiens de tout plaquer pour renouer avec l'espace, la nature et l'absence de bruit.


Pourtant, le propos de Serge Joncour n'a rien de manichéen, son récit n'est ni charge contre la grande ville, ni une idéalisation de la vie rurale. Partout, il campe des personnages qui ont des difficultés à communiquer, à se dire pleinement et simplement les choses, à s'entraider. Partout, l'homme a tendance à se méfier des inconnus, accepte difficilement de se laisser aider, comme si cela procédait d'une faiblesse, comme si être adulte, c'était savoir se montrer assez fort pour se débrouiller seul. Chacun des personnages de cette histoire fera l'expérience de la vulnérabilité, devra baisser sa garde, tomber son masque, s'autoriser à s'en remettre à l'autre en toute confiance.


Rarement un récit aura articulé avec autant de délicatesse, de finesse psychologique, l'amour et la solidarité, cet élan gratuit qui soutient l'autre de manière inconditionnelle. Repose-toi sur moi est une histoire très actuelle sur les kilomètres qui séparent parfois des voisins de palier, sur la connaissance, l'apprentissage que l'on peut faire de l'autre si l'on accepte de s'ouvrir, de montrer son vrai visage. Serge Joncour nous parle aussi du couple contemporain, des trajectoires de carrière de chacun qui parfois se meuvent en rivalité, métamorphosent l'amour en une cohabitation sans échange. Les fossés qui se creusent alors, les dialogues de sourds : l'écoute est au coeur de Repose-toi sur moi qui pointe parfaitement la difficulté à rencontrer aujourd'hui des individus qui savent véritablement en témoigner.


Ludovic est de ceux-là, et Aurore ne s'y trompera pas qui verra en lui un de ces hommes rares qui ne tirent aucune gloire de leur bonté, qui laissent les autres s'arrimer à eux en toute confiance, comme une bouée jetée à un noyé. Par-delà les différences sociales et matérielles, Serge Joncour nous montre que le plus beau cadeau que nous pouvons offrir à quelqu'un, c'est notre attention.


Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour : Repose-toi sur moi pourrait bien illustrer la belle phrase de Cocteau en nous livrant cette histoire émouvante, profonde, trépidante et humaniste qui se lit d'une traite, le cœur battant, regonflé de joie.

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le 19 févr. 2017

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