Normalien, ancien de l'école des officiers de Coetquidan, René Girard est ensuite devenu grand reporter. En novembre 2008, il revient à Peshawar, à l'ouest du Pakistan, près de la frontière afghane, quatre jours après le grave attentat de Bombay. Après un échec à aller au Cachemire, il change son fusil d'épaule et décide d'aller sonder l'actualité dans les zones tribales. Son chauffeur de taxi, Kamal, se révèle une source de premier plan. Il observe la destruction d'un point d'approvisionnement américain à Peshawar et retourne à son hôtel transmettre son article par internet.


Le livre fait de nombreux va-et-vient dans l'histoire de la carrière de l'auteur. Comme souvent chez les grands reporters, le style est incisif, réaliste, d'une grande clarté : fait, explication, interprétation. Ce livre est une très bonne porte d'entrée sur la guerre en Afghanistan.


Il a aussi un autre intérêt, puisqu'il contient de nombreux flashbacks sur la carrière de Renaud Girard qui, de la guerre du Kippour à la Tchétchénie en passant par Sarajevo et le Rwanda, n'a pas vraiment eu une vie ennuyeuse.


J'émets quelques réserves, cela dit. Girard écrit pour le Figaro, et cela se sent à certains signes. En dépit de ses critiques concernant la stratégie américaine, on sent que cela ne remet pas en cause ses convictions atlantistes. L'auteur insère aussi quelques souvenirs personnels (enfance à Sceaux, khâgne à Louis le Grand, école d'officier de réserve de Coëtquidan, fascination pour De Gaulle) qui ne trompent pas. Il confesse une vision de l'Histoire qui est assez différente de la mienne, mais que je respecte. Il croit aux "grands acteurs" et réduit le marxisme à un déterminisme. C'est aussi un passionné d'histoire militaire, qui trouve un plaisir intellectuel évident au décorticage de conflits. Ce n'est pas du tout ma sensibilité, mais l'homme est visiblement un bel esprit, même s'il ne rate pas une occasion de rappeler la vie de baroudeur qu'il a menée.


Je reprends maintenant le cours du livre, de manière cursive.
A l'occasion de son retour à Peshawar, l'auteur ouvre une parenthèse sur un épisode en Tchétchénie en 1999, où, par hasard, il avait pu être là avant tous les reporters occidentaux, et s'était échappé au prix d'un épisode de haute montagne. Remarques sur les beautés du métier de grand reporter.


Retour au récit, cette fois à Kandahar, où l'auteur est frappé par le fonctionnement en vase clos de l'armée américaine, qui leur aliène la population. Les drones tuent aussi beaucoup d'innocents, une grande partie de la population possédant des armes à feu sans être taliban. Girard rencontre Abed à la prison de Pulli Charkhi. C'est un jeune terroriste qui projetait un attentat suicide mais a raté son coup.


Girard revient sur son rapport passionné à l'Histoire, qu'il relie à sa rencontre avec le général McChrystal, un officier choisi par Obama pour révolutionner la stratégie américaine. Les soldats seront moins lourdement armés, iront au contact avec la population, dont ils doivent comprendre la culture, et doivent mener des actions d'aide à la reconstruction, pour gagner l'opinion. Avant cela, souvenir d'une rencontre avec Massoud.


Le chapitre suivant est centré sur un fait divers sordide des élections de 2009 : Lal Mohammad, un brave paysan pachtoune qui allait voter s'est vu défigurer (on lui a coupé le nez et les oreilles) par des talibans, qui veulent entretenir le climat de terreur. Flashback sur une mission au Rwanda en 1994, au tout début du génocide, les camions-bennes remplis de cadavres....


Le chapitre suivant raconte un séjour à Djalllalabad, en novembre 2001, au moment de la traque de Ben-Laden par les Américains à Tora-Bora. Après des manoeuvres, en 2009, Girard parvient à interviewer Hamid Karzai, qui prétend ouvrir un dialogue de réconciliation nationale avec les talibans.


Girard retrouve la trace d'Hadji Zaman, un des seigneurs de la guerre qui a secondé les Américains dans ce grand fiasco que fut l'attaque de Tora-Bora. En hésitant face au tuyau qui avait été remonté à l'ambassadeur américain à Peshawar, l'administration Bush a permis à Ben Laden de lui échapper. Retour sur l'évolution des moyens de communication : l'auteur avait eu du mal à trouver une communication pendant la guerre du Kippour, alors que lors de l'attaque israélienne de 2006 au Liban, il faisait tout par Bluetooth. Constat qu'après l'échec de Tora-Bora, Ben Laden, hôte jusque-là encombrant, est devenu un dieu vivant dans les zones tribales.


Le dernier chapitre se clôt sur le limogeage de McChrystal, alors que sa stratégie allait peut-être porter ses fruits. L'auteur se prononce cependant contre un désengagement brutal de l'Occident en Afghanistan.


Retour à Peshawar est un récit passionnant de grand reporter sur la guerre en Afghanistan. Si ses analyses peuvent être discutées, c'est une bonne porte d'entrée sur ce conflit, et un livre qui peut susciter des vocations pour ce métier si particulier.

zardoz6704
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le 18 sept. 2021

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