Durant le confinement, comme beaucoup, j’ai eu envie de me retrouver, de me détendre, de m’immerger dans un cocon tissé d’insouciance et de douceur de vivre, rêvant de nature, de source fraîche et d’air pur.


Qui, mieux alors que Rosamunde Pilcher, romancière britannique adorée à l’adolescence, aurait pu me procurer ces bienfaits immédiats, me faisant replonger avec délice dans son univers sans aspérités mais si reposant, qui exalte, avec une fraîcheur inouïe, les relations entre les êtres, l’attachement aux lieux et l’amour des proches ?


Une nouvelle, le recueil en comprend 27, qui m’a donc permis de fouler en esprit la campagne anglaise, dans un charmant petit village du Wiltshire, au sud-ouest de l’Angleterre et de m’imprégner du charme intemporel de cette historiette, simple et sans prétention, petit bol d’air frais dans notre « monde de brutes ».


Mary n’avait jamais vraiment accepté la mort d’Harry, survenue cinq ans plus tôt…Sans doute était-elle restée, en dépit de sa maternité, une « petite fille », rassurée par cet époux, à la fois père et amant, dont la force tranquille l’apaisait, passée maîtresse dans l’art de déléguer.


Que n’eût elle donné, là, maintenant, pour entendre de nouveau ses paroles: « Ne t’inquiète pas, chérie, je vais m’en occuper.»


Vicky, leur fille unique, se mariait dans une semaine : d’une humeur massacrante, elle accusait la terre entière de n’avoir pas encore de robe !


Mais Mary était seule, désormais… Eveillée aux aurores, elle tournait et retournait dans le lit, trop grand pour elle, le soleil jouant déjà à cache-cache dans la chambre, annonciateur d’une journée lumineuse qu’elle semblait ignorer.


Que s’était-il donc passé pour que la relation mère fille se détériore à ce point?


Vicky avait été une enfant adorable, pourtant, démonstrative et affectueuse, mais au seuil de l’adolescence, le petit ange s’était transformé en démon, rendant sa mère responsable de son mal être : des chaussures, qu’elle trouvait affreuses, de ses mauvais résultats en classe, bref de tout.


Mary, furieuse et frustrée, ne comprenait pas et c’est auprès d’Harry qu’elle avait cherché du réconfort après une scène particulièrement violente :
« Mais enfin qu’est-ce qu’elle a, j’ai l’impression qu’elle ne m’aime plus ! »


Et les paroles de son mari, qui semblait arbitrer un combat entre ses deux filles, étaient tombées, rassurantes :


- Elle grandit, c’est tout, cela lui passera, ne t’en fais pas.


Mary sentait néanmoins grandir sa frustration :


-Mais tu n’en sais rien, tu n’as jamais eu de sœur, la seule fille que tu aies connue, c’est ta cousine Dorothy !
- Ah, ne recommence pas avec Dorothy, tu ne la connais pas !


Le nom était lancé, seul point de désaccord du couple !


À entendre Harry, Dorothy était LA cousine parfaite : célibataire brillante, elle parlait trois langues et avait travaillé longtemps au Foreign Office, son poste lui autorisant de fréquents séjours à l’étranger.
Désormais installée à la campagne, elle menait une retraite active, se partageant entre la Croix- Rouge et le golf.
Mary la retrouvait parfois pour déjeuner, mais l’atmosphère guindée rendait la conversation difficile et le courant ne passait pas.


L’organisation incarnée en plus d’être une femme soignée jusqu’au bout des ongles, que Mary, pourtant sa cadette de 10 ans, avait toujours connue impeccable de la tête aux pieds, ce qui, à ses yeux, contribuait à la rendre plus réfrigérante encore.


Alors, Dorothy adolescente, Dorothy amoureuse ou en proie à une émotion quelconque, qui pouvait y croire? !
D'autant moins que ladite cousine, ne s’était jamais montrée tendre pour Vicky :
« une enfant pourrie gâtée, à qui tu n’as jamais rien refusé , tu le regretteras ! » assénait-elle, prophétique, à Harry.


Les images se bousculaient dans la tête de Mary : elle revoyait sa fille en larmes, à 17 ans, traumatisée par la mort d’un père, qu’elle adorait, -le seul, selon elle, qui savait la prendre et la comprendre- lui faire part, quelque temps après, de sa décision : quitter la maison et partir à Londres suivre des cours de cuisine.


Mise au pied du mur, Mary n’avait pas résisté bien longtemps, presque soulagée, tant la relation entre elles devenait invivable.
Et là-bas, à Londres, le ballet des colocataires commença : personne ne trouvait grâce aux yeux de Vicky, en outre, son look tapageur la faisait repérer de loin, au grand dam de sa mère, qui la voyait à intervalles réguliers le weekend, flanquée d’amis affichant leur extravagance vestimentaire d’un air auto satisfait.


Contre toute attente, cependant, le miracle s’était produit : des examens réussis, la création d’une petite entreprise de traiteur et, cerise sur le gâteau, la rencontre avec Hector, architecte de son métier.
Les jeunes gens se plaisaient, s’apprêtant à convoler : l’heureux élu, sans être un adonis, se révélait adorable et Mary, soulagée de voir sa fille abandonner enfin, sa mine renfrognée et son ton dénigreur, se prenait à espérer.


Mais panique à bord, à quelques jours du mariage, Vicky n’avait pas de tenue ! Sa meilleure amie, alitée, renonçait à lui confectionner la robe promise : la situation devenait critique , l’atmosphère électrique et la voix de Vicky dérapait dans les aigus annonçant l’hystérie à venir.
Mary avait tout essayé, en vain , sa fille étant persuadée qu’elle ne trouverait rien à son goût dans les magasins londoniens.


Et c’est alors qu’en désespoir de cause, faisant fi de ses craintes et de ses réticences, la mère, désemparée, se tourna vers celle qui constituait son unique famille : la cousine Dorothy.
Pour la première fois durant toutes ces années, Mary se confia, s’épancha en toute franchise, encouragée par l’écoute pleine d’empathie de la femme qui lui faisait face, découvrant, stupéfaite, sous le vernis du paraître soigneusement entretenu au fil du temps, la jeune fille blessée qui, un jour de 1939, à l’âge de 19 ans, avait remisé pour toujours, la mort dans l’âme, le satin froufroutant d’une robe de mariée…


De sa plume chaleureuse et sereine, dans un style fluide et romanesque, Rosamunde Pilcher nous régale en toute simplicité, de ses réflexions fines sur l’âme humaine, une analyse nourrie de son vécu, qui fustige les a priori et la frilosité des rapports humains pour célébrer l’ouverture et la confiance aux autres.


« On croit toujours connaître les gens, mais en fait on se trompe »

Aurea
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le 9 juin 2020

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Aurea

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