La figure de la Mère. L'envie de la comprendre après sa disparition. Le besoin de la ressentir intérieurement quand sa manifestation physique n'est plus, de s'en rapprocher malgré la distance désormais infinie. Delphine de Vigan met ici sa mère complètement à nu, dans tout ce qu'elle a de plus tragique et monstrueux, de plus doux et attachant. Papillon aux ailes brûlées, parfois tornade, parfois anticyclone : quelle malédiction ronge donc Lucile ? Quels sont les démons qui la hantent ?
L'auteur a menée des entretiens avec ses oncles, tantes, cousins, et autres membres éloignés du clan familial pour préparer son roman. Ils lui permettront de localiser la source du trouble, d'identifier les incidents venant gonfler le mal-être, et de dessiner avec justesse le cours qui accompagnera sa mère jusqu'en son dernier lit.
La famille en prend pour son grade au passage : une personnalité ne se comprend jamais vraiment complètement si l'on ne connaît pas son contexte, ses drames fondateurs, le degré de toxicité de son environnement. Ainsi, on découvre l'enchevêtrement de souvenirs illuminés et de zones laissées sciemment dans l'ombre. L'imaginaire collectif tourne à fond, et l'omerta fait loi.
L'auteur navigue malheureusement trop entre une honnêteté presque touchante de naïveté et un certain conformisme dans l'écriture. La structure est un peu bancale, les chassés-croisés temporels semblant parfois être des apologies de de Vigan sur sa démarche d'écriture plutôt que de réels apports quant à l'histoire de sa mère.
Au final, les thèmes sont durs, ça remue les tripes en plusieurs points, et un sentiment étrange poussant même jusqu'au malaise se dégage souvent de l'oeuvre. Mais "Rien ne s'oppose à la nuit" est une exposition singulière de la vie d'une famille "normale" d'après guerre, dans laquelle on s'enfonce avec entrain, empruntés de cette curiosité morbide et voyeuse nécessaire à l'appréciation des meilleures drames.