Si le titre de l'ouvrage hérissera les partisan(e)s de R'hllor il faut davantage le voir comme une référence à une chanson d'A. Bashung (écrite avec Jean Fauque) : « Osez Joséphine » qui a accompagné Delphine de Vigan au cours de son écriture.
L'auteur revient sur la vie mouvementée de sa mère (Lucile) et tente de l'imaginer enfant, ado' et enfin femme. Pour mener à bien son entreprise elle a multiplié les sources : interviews de ses oncles et tantes, de sa sœur, (re)découverte de lettres, de morceaux de journal intime... mais elle n'a pas interrogé les hommes qui ont partagé la vie de sa génitrice.
Le récit est entrecoupé de réflexions de D. de Vigan (notamment le fait qu’elle ne cherche pas à écrire la vérité mais sa vérité sur Lucile, etc.), de ses doutes, de la difficulté à écrire, des questions qui la traversent et j’en passe (on fait l'hypothèse que ses réflexions ont été écrites sur le vif et non ajoutées ou modifiées par la suite). « J'écris Lucile avec mes yeux d'enfant grandie trop vite, j'écris ce mystère qu'elle a toujours été pour moi, à la fois si présente et si lointaine, elle qui, lorsque j'ai eu dix ans, ne m'a plus jamais prise dans ses bras. » (p. 187) On navigue ainsi entre la biographie, l'autobiographie, l'auto-analyse et le roman.
Lucile avait 61 ans lorsqu'elle s'est suicidée à la fin du mois de janvier 2008. C'est elle qui figure sur la couverture du livre. Elle était belle, prenait la pose pour des photos quand elle était petite et parlait peu, ne s'intéressait pas à l’école (elle arrête en seconde et reprendra bien plus tard pour obtenir son bac et suivre, à 49 ans, des études pour devenir assistante sociale).
A 20 ans elle accouche de Delphine et ne sera pas vraiment une « mère modèle ». Lucile était « bipolaire ». Elle sera internée à plusieurs reprises, aura des « bouffées délirantes » plus ou moins graves (e.g. elle se croit télépathe et voit ses filles dotées de pouvoirs ou encore elle se peint en blanc et plante une aiguille d'acupuncture sous l'œil droit de Manon – la sœur de Delphine –, pour la soigner). Sans doute marquée par ce passé douloureux, l'auteur se lance dans l'analyse de nombreux événements de son histoire familiale.
Par endroit, on peut voir se dessiner une nouvelle version des Rougon-Macquart avec une certaine forme « d’hérédité », des « phénomènes de répétitions transmis d’une génération à une autre » qui « traversent les familles de part en part, comme d’impitoyables malédictions, laissent des empreintes qui résistent au temps et au déni. » (p. 283) La famille de Lucile nous offre ses singularités avec des parents (Georges et Liane) qui ont eu huit enfants (Lucile était la troisième) et qui connaîtront des pertes en cours de route.
Des pertes notamment familiales : Antonin a six ans quand il meurt en 1954 en tombant dans un puits. Georges et Liane en adoptent très vite un autre (Jean-Marc) qui mourra à 15 ans en s’étouffant dans un sac plastique... alors qu'il se masturbait (hypoxyphilie). Ils en perdront un autre (Milo) qui se tirera une balle – pratique que l'on retrouvera chez d'autres membres et amis de la famille. Georges, la star déclinante, a sa part d'ombre, pas tant pour son travail à Révolution Nationale pendant la Seconde Guerre mondiale (plus opportuniste que partisan de Vichy), que pour son goût des femmes et sa (trop ?) grande proximité avec ses filles et leurs amies (la question de savoir s'il a ou non violé Lucile quand elle avait 16 ans n'est pas tranchée).
Les thèmes traités ne sont donc pas nouveaux et, à ce titre, l'ouvrage peut apparaître comme « un de plus » qui aborde des éléments dont on peut avoir connaissance via d'autres lectures et/ou sa propre expérience. Il faut toutefois reconnaître à l’auteur une écriture agréable, d'où un livre rapide à lire et qui, sans faire l'économie des moments émouvants, évite de sortir les mouchoirs à chaque page.