✩ Sélection jury Grand Prix des lectrices ELLE 2020 ✩


Auréolée du Women's Prize for Fiction 2019 et adoubée, rien que ça, par Barack -Mister President-Obama himself ou encore Oprah Winfrey, Tayari Jones fait une entrée fracassante dans l'Hexagone avec son quatrième roman: Un mariage américain.


Dans un récit d'une admirable fluidité, Tayari Jones nous offre l'histoire déchirante d'un mariage dans l'Atlanta contemporaine, celui de Roy et de Celestial.


Roy est issu d'un milieu social modeste, Celestial d'un foyer plus aisé. Roy est en quête d'ascension sociale, Celestial de développement personnel. Pourtant, en dépit de leurs différences, ces deux-là vont convoler.


Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils incarnent cette classe moyenne aisée pleine d'ambition qu'aime à montrer en exemple les américains.


Après un peu plus d'un an de mariage, alors qu'ils apprennent encore à se connaitre, à dessiner les contours de leur avenir commun, Roy, au terme d'une arrestation et d'un procès expéditif, est condamné à 12 ans de prison pour des faits de viol.


Il est innocent, Celestial peut témoigner de sa présence à ses côtés... Mais voilà, Roy et Celestial sont en Louisiane.


Et ils sont noirs.


Evidemment, le racisme se glisse, insidieux, partout dans ce roman, parce que c'est le Sud des Etats-Unis, et que c'est une réalité sur laquelle se construisent les populations afro-américaines notamment.


Mais c'est finalement en traitant de manière presque anecdotique toute la question de l'iniquité du système judiciaire et carcéral à l'égard des Afro-américains, que Tayari Jones interpelle sur l'aberration de cette société.


Le procès fait l'objet d'une ellipse est n'est évoqué que dans son verdict.


La vie carcérale de Roy, cette parenthèse dans l'existence, est figurée par une rupture narrative absolument géniale consistant à n'être évoquée qu'au travers des échanges de lettres entre les différents protagonistes.


Ce qui est absolument saisissant, c'est que pour tous, ce qui est arrivé à Roy est injuste, douloureux, mais en réalité, aucun ne semble véritablement étonné que cela ait pu se produire.


Son arrestation, sa condamnation... s'il n'est pas question de résignation, ou d'abandon, l’événement est reçu avec une forme de fatalisme, comme quelque chose d'un peu banal.


"Je pensais encore une fois à Walter. "Six ou douze", disait-il parfois quand il était déprimé, ce qui n'était pas constant, mais assez fréquent pour que j'aie appris à sentir venir le blues. "C'est le destin de l'homme noir. Porté par six ou jugé par douze"."


L'effet est glaçant, et c'est là finalement le tour de force de l'auteure.


En choisissant de placer en tout premier plan l'humain, dans tout ce qu'il a de plus universel: ses sentiments, Tayari Jones, par contraste, fait ressortir la vileté d'un système où le racisme est admis comme un composante normale de fonctionnement d'une société.


Qu'on ne s'y trompe pas donc, Un mariage américain est avant tout un roman de l'Amour.


C'est le roman d'un mariage étouffé dans l’œuf dont tout le monde souffre, mais dont personne n'est entièrement responsable.


Les personnages de Tayari Jones n'ont rien d'exceptionnel, ils sont chacun de nous: parfois touchant, parfois révoltant, jamais irréprochables, mais qui oserait leur jeter la pierre?


En s'appuyant sur la narration alternée de chacun des trois personnages principaux, Tayari Jones plonge au cœur de ce qui fait notre humanité, à savoir le combat permanent que constitue la conciliation de nos désirs avec ceux des autres.


Elle livre ainsi une analyse particulièrement pertinente des conflits de loyauté qui émaillent nos existences et mettent au jour l'un des plus grands dilemmes de l'être humain: liens du sang ou liens du cœur, qu'est-ce qui fait une famille?


"On ne choisit pas plus d'où on vient qu'on ne choisit sa famille. Au poker, on reçoit cinq cartes. Il y en a trois qu'on peut échanger et deux dont on ne peut pas se défaire: sa famille et sa terre natale".


Un mariage américain, s'il n'est pas complètement parfait, est un très beau roman comme on aimerait en lire plus souvent: sensible, intelligent et très accessible. A mettre d'urgence entre toutes les mains!

Chatlala
8
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le 4 nov. 2019

Critique lue 186 fois

Chatlala

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