A-t-on le droit de rappeler que l’histoire d’Arthur Rimbaud poète commence par de longues années d’études classiques et de travail acharné ? Il connaissait et maitrisait ce qu’il voulait renverser. De sa dixième à sa seizième année Rimbaud fut en latin à peu près constamment premier prix de thème, version et grammaire, de grammaire et d’orthographe en français, de récitations et d’histoire-géographie, passant par un premier prix au Concours académique de 1869. Il pissait des vers en latin comme d’autres respiraient. Un parfait intello-conformiste dirait-on aujourd’hui. Peut-être, mais sans ça il n’aurait pas été Rimbaud. Partant, difficile de ne pas songer, lorsqu’on lit ses productions, à la profonde culture classique sur laquelle tout peut se bâtir, y compris la détestation.


OK, d’aucuns trouvent peut-être cette image du poète pas raccord avec celle du rebelle-et-rien-dautre que nous avons par paresse à l’esprit, préférant sans doute de l’ébouriffé retenir le voleur, drogué, fugueur pourvu qu’il fût « absolument moderne », en somme le kitsch un peu grotesque d’un étendard pour puceaux excités qui voudraient renverser tout ce qui bouge (sans connaître, dans le fond, ce qu’ils aimeraient renverser) - des Diogène sans lanterne. En fait de poésie rebelle il y eût surtout des heures de travail, quel horrible mot.


Plus tard, en 1871, le poète rejoignit la Commune mais déserta rapidement.


Plus tard encore, « le mystique à l’état sauvage » de Claudel ou « l’incomparable ferment » de Péguy mena ses affaires en Afrique, en rebelle modéré :


Lettre de Rimbaud à sa famille : « Harar, 4 août 1888 : je m’ennuie beaucoup, toujours ; je n’ai même jamais connu personne qui s’ennuyât autant que moi. Et puis, n’est-ce pas misérable, cette existence sans famille, occupation intellectuelle, perdu au milieu des nègres dont on voudrait améliorer le sort et qui, eux, cherchent à vous exploiter et vous mettent dans l’impossibilité de liquider des affaires à bref délai ? Obligé de parler leurs baragouins, de manger de leurs sales mets, de subir mille ennuis provenant de leur paresse, de leur trahison, de leur stupidité ! Le plus triste n’est pas encore là. Il est dans la crainte de devenir peu à peu abruti soi-même, isolé qu’on est et éloigné de toute société intelligente. »


On note à propos de cette lettre que le panthéonisable magnifique jouit d’une étonnante mansuétude de la part des déboulonneurs.


Plus tard encore dans "Adieu mariage, adieu famille, adieu avenir" (lettre à sa sœur Isabelle, de 1891), du rebelle il ne reste décidemment plus grand-chose, pleurant de ne se pouvoir marier. Passons sur sa supposée réunion avec le Christ car non avérée, bien que rapportée par Isabelle Rimbaud. Encore que sur ce point les oppositions véhémentes de Breton et d’Aragon pourraient-elles par principe de précaution favoriser la version de la sœur..


Et de finir sur son lit de mort avec les mains jointes tel un Prométhée en simili.


Alors Rimbaud connait-il le bonheur posthume d’être aimé pour ce qu’il est ? Probablement pas. Ni par moi ça va sans dire, qui pourtant l’apprécie de plus en plus en vieillissant (à contre-sens de l’élan rimbaldien naturel), ni par nos grands ou petits mais unanimement onanistes-rebelles qui sans vergogne s’en réclament. Il sera toujours dans l’habitude des dévots de tous horizons d’agréger à leur troupeau une victime illustre. Pas de jaloux.

-Valmont-
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le 4 déc. 2020

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