J'ai enfin pris le temps de lire l'une des nouvelles les plus plébiscitées de Stefan Sweig, "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme".

Texte court qui se lit d'une traite, phénomène que j'attribue pour ma part à l'excellence du style plutôt qu'à l'intérêt du récit. En effet, même en débutant ma lecture avec un a priori positif, je n'ai ressenti ni empathie pour Mrs C., l'héroïne de cette aventure (à plus d'un titre), ni compassion pour ses sentiments.

Toute la trame de cette histoire de sauvetage moral où une riche veuve tente d'annihiler en quelques heures la passion viciée pour le jeu et les pulsions suicidaires d'un jeune inconnu désargenté repose sur la logique, sur un enchaînement de gestes et de paroles qui l'entraînera hors de sa zone de confort et la poussera à commettre des actes non conformes à son comportement.

Ce que je n'ai pas apprécié dans ce récit, c'est avant tout la façon dont Mrs C. subit continuellement les événements et amplifie par cette posture le préjudice moral qui en découle. Je ne lui ai trouvé de l'intérêt que dans l'accablement alors que j'aurais préféré lui voir de la force dans l'adversité. A contrario, dès qu'elle se piquait d'agir, je la trouvais maladroite et présomptueuse et, au final, j'aurais volontiers uni mon cri à celui du jeune joueur lorsqu'il l'enverra balader à la fin du récit en lui demandant de lui ficher la paix et de le laisser à son triste sort.

Vers 1880, période à laquelle se déroule l'aventure de Mrs C., les mœurs bourgeoises sont toujours extrêmement rigides et l'on aurait tort de croire que le statut de veuve garantissait la liberté. Dans le récit de Sweig, on sent bien d'ailleurs combien pèse lourd le carcan des convenances sur les épaules de celle qui s'interdit d'aimer et couvre ses sentiments du voile décent de la charité. Bien que Mrs C. soit encore jeune, libre et riche, on la sent terriblement fragile, vulnérable et indécise.

Sa caste sociale - matérialisée en la personne de sa cousine qui lui fait involontairement manquer le train de la fuite - l'empêche finalement de commettre la folie qui l’aurait exclue de ses rangs pour de bon et, en même temps, elle la contraint à une lucidité crue(lle) pour détricoter une réalité que l'excentricité de son aventure lui avait un instant fait idéaliser. Emportée par ses sentiments au-delà d'elle-même jusqu'à l'aveuglement, Mrs C. sera en effet bien vite rattrapée par la vérité : le joueur est à nouveau à sa place, dévoré par sa passion, son vice et son immoralité. Tout ce qu'elle aura pu entreprendre et lui donner n'aura servi à rien...

On trouve entre les pages de ce récit de belles descriptions, de beaux portraits psychologiques, une peinture fine de la "bonne société" castratrice de la fin du XIXème siècle et encore bien d'autres éléments intéressants qui mériteraient une analyse plus poussée mais, personnellement, je n'y ai pas trouvé l'élan particulier qui me le rendrait mémorable. Au final, c'est heureux qu'il ait été si court car, plus étoffé, il m'aurait sans nul doute rapidement ennuyée.
Gwen21
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le 12 oct. 2014

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