Cette oeuvre, qui est plus un travail académique et universitaire qu'autre chose par ailleurs, est inséparable de son auteur : Robert Van Gulik, trop peu et trop mal connu. Ce polyglotte hollandais, fruit parfait d'une éducation à cheval entre Europe et Asie, a voué sa vie entière à l'étude de multiples sujets techniques et particuliers. Tout d'abord, c'est un sinologue parfaitement digne de confiance en ce sens qu'il a vécu dans l'Empire du Milieu en tant qu'ambassadeur hollandais après avoir vécu à Java. Par surcroît, il est un juriste spécialisé dans l'ancienne Chine. Entre autres, il a signé de grands travaux sur le luth, de grands travaux sur les langues qu'il maîtrise (chinois,japonais, arabe, russe, javanais, anglais, allemand, français, etc...) et aussi il s'est servi de ses connaissances pour mettre au point des excellents romans policiers dont le héros est le Juge Ti. Toute son inspiration trouve sa source dans la traduction de Tang Yin Bi Shi de Gui Wanrong, un recueil de jurisprudence savamment organisé du XII-XIIIème siècle et qui en réalité traite des affaires prenant leurs sources dans les Empires Chinois des premiers siècles. Dans ce livre, Van Gulik traduit 144 cas très courts, où les juges chinois ont traité des affaires en utilisant des moyens très hétéroclites : parfois extrêmement subtils et sophistiqués, et d'autres qui n'ont rien à envier aux ordalies européennes. Zoom sur le système judiciaire chinois des temps anciens.


La civilisation chinoise se fonde sur le confucianisme, comme notre Europe se fonde sur le christianisme. Ainsi, cette civilisation à laquelle notre pays n'a rien à envier, possède un mode de philosophie qui emprunte parfois ponctuellement au taoïsme ou au bouddhisme. Le confucianisme a donc fécondé d'une système politique très sophistiqué et puissant : l'Empereur, qui fait l'union entre le Ciel et la Terre, règne avec un Etat centralisé puissant sur un monde dans lequel ses sujets doivent vivre en harmonie, selon des principes très stricts de sagesse. Ainsi, en ce monde où l'harmonie est la clef de voûte, la justice est en elle-même un échec, et les procès sont considérés comme des signes de décadence. Cela explique que les procès chinois ont une procédure très sévère et des peines très expéditives. L'innocent lui-même, se trouvant devant le Juge, est en soi déjà un peu coupable. Les "sbires", auxiliaires de justice, doivent torturer le prévenu qui se présente après un séjour inhumain en prison d'ou il ne dépend que de sa famille devant un juge, agent décentralisé de l'Empire. Pourtant, malgré cela, on aurait tort de croire que cette justice est mauvaise. Non seulement l'opinion publique a un rôle important, mais un Juge qui rendrait un mauvais jugement est exécuté, d'autant plus que les procès sont écrits et envoyés aux cours supérieures. C'est pour cette raison qu'il faut relativiser les abus de cette justice, qui est tout aussi valable que celle de l'Europe médiévale. La justice chinoise mêle des procédés très justes et rationnels (marquage de biens volés, ruse, et actes juridiques) à des procédés qui ressemblent aux ordalies et qui parfois sont complètement absurdes (lecture des rêves, observation des impressions faciales et corporelles, simple intuition). Les peines sont très dures et pour tout un arsenal de crimes comme le meurtre, l'adultère, le vol, l'impiété filiale, la peine de mort est requise immédiatement. Le Juge met en place un système sage et fastueux, à l'image des Seigneurs médiévaux.


Les cas sont plaisants, un peu répétitifs, trop courts pour s'y attacher mais l'équilibre est souvent ajusté par la pertinence des procédés juridiques utilisés pour la procédure pénale et la preuve. Ce n'est pas une oeuvre de littérature, ni à proprement parler un essai. C'est une oeuvre assez hétérodoxe, qui mérite que l'on s'y plonge. Plus largement, l'oeuvre nous enseigne que l'Homme, malgré la culture, garde cette fragilité ontologique qui est la suivante : il n'échappe pas à la tentation du lucre et de la cupidité. Notre société doit apprendre que, partout, chaque homme est certes potentiellement une victime, mais également potentiellement un coupable.

PaulStaes
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le 1 déc. 2017

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