Après Apeirogon et le véridique combat conjoint pour la paix de deux pères endeuillés en Israël et en Palestine, Colum McCann met à l’honneur une autre figure, elle aussi incarnation de l’humanité face à la barbarie, en se faisant la plume de Diane Foley, la mère du journaliste américain James Foley exécuté par l’État islamique après deux ans d’une terrible captivité en Syrie.


En 2012, le journaliste free lance James Foley tourne un reportage en Syrie lorsqu’il est pris en otage par Daech. Pendant deux ans, il est détenu et torturé, et, le gouvernement américain se refusant à négocier avec les terroristes, ceux-ci finissent par le décapiter en diffusant la vidéo dans le monde entier. Horrifié par ces images, Colum McCann décide d’entrer en contact avec les proches de la victime après être tombé sur une photographie montrant le jeune homme plongé dans l’un de ses romans dans un bunker afghan. Il se rend en Nouvelle-Angleterre, dans le Nord-Est des Etats-Unis, là où ont grandi James et ses quatre frères et sœurs et où résident toujours leurs parents. Diane Foley accepte de raconter l’histoire de son fils, sa vocation de reporter de guerre, son enlèvement et sa détention avec d’autres journalistes et des humanitaires ressortissant de divers pays qui, eux, se démèneront pour les faire libérer, l’intransigeance des autorités américaines dans leur refus de céder au chantage, les deux longues années d’attente aboutissant à sa mort – apprise sur Twitter.


Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car, pour surmonter l’horreur et le chagrin, Diane Foley se lance alors corps et âme dans un combat qui dure toujours et qui, de Barak Obama à Joe Biden, a complètement transformé la politique américaine à l’égard des otages et des individus emprisonnés de manière injustifiée. Aujourd’hui encore, cette « mère américaine » multiplie les engagements militants. En plus de la Fondation James Foley, elle a notamment cofondé l’association ACOS oeuvrant pour la protection des reporters free lance en zones de guerre. Animée d’une vraie foi, elle décide en 2021 de rencontrer l’un des assassins de son fils, tristement surnommés les « Beatles » parce qu’Anglais, convertis à l’islamisme et devenus soldats de Daech. Colum McCann l’accompagne alors dans son courageux rendez-vous avec cet homme, Alexanda Kotey, condamné à la perpétuité sans procès en échange de certaines obligations, comme celle de rencontrer les familles de victimes qui le souhaitent. Loin de tout esprit de haine et de vengeance, et parce que, pour mieux lutter contre la violence, il est essentiel d’essayer de comprendre, Diane vient pour écouter : « telle est maintenant sa mission. Elle doit écouter. »


Empli de sentiments contradictoires, le récit de l’entrevue est poignant. S’il ne sera jamais nettement question de regrets dans un échange trahissant un degré de sincérité variable chez l’assassin, ce dernier fera preuve d’émotion face à la si digne humanité de cette mère, tout en évoquant son ressentiment contre l’Amérique après des frappes qui tuèrent sous ses yeux l’épouse et le bébé d’un ami. L’homme laissant trois petites filles dans un camp en Syrie – pour quelle enfance ? –, Diane Foley qui, sans être sûre d’avoir tout à fait pardonné, dira ensuite avoir « réalisé que tout le monde était perdant », ira jusqu’à tenter de leur venir en aide…


Rédigée à la première personne pour mieux épouser la voix de cette femme impressionnante de courage et de force morale, cette non-fiction en tout point fidèle à la réalité fait de ce portrait, quasi hagiographique, un hommage appuyé à ces êtres qui, confrontés à la barbarie, trouvent les moyens de l’affronter de toute la force de leur humanité. « Parfois, on sait où est le bien. Parfois, on suit son instinct. Si on ne fait rien, rien ne se fait. »


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Cannetille
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le 22 mars 2024

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