Ça faisait longtemps que je n'avais pas lu une pièce de théâtre et quel plaisir de retrouver ce genre littéraire avec Andromaque, véritable mélange entre ode aux anciennes tragédies et modernité psychologique.
J'aime beaucoup la façon d'écrire de Racine, qui est très sobre, limpide, directe dans ses idées, mais avec une certaine musicalité et des vers en alexandrins fournis avec un lexique riche et beaucoup de références. On sent que Racine est cultivé et inspiré par les textes antiques (Euripide, Homère...) tout en y ajoutant sa touche personnelle, une complexité intime moderne aux personnages et à leurs émotions. C'est d'ailleurs évoqué par l'auteur lui-même dans les préfaces de la pièce, très intéressantes, où il met en exergue l'importance de la liberté de modifier certains éléments et d'apporter sa vision d'artiste et d'humain dans une réécriture.
Il y a un côté très intérieur à cette tragédie alors que l'action se passe pourtant dans les hautes sphères du pouvoir. Les personnages, malgré leurs statuts, sont dans une certaine instantanéité qui amène forcément une dose de réalisme, où la passion les détruit et où chaque être en proie à ses sentiments devient à la fois prisonnier des autres et geôlier.
La tension et le rythme sont superbement gérés, on ne se gêne pas avec du superflu, les conflits sont immédiats. On sent les thèmes de la loyauté (à l'amour, aux morts, aux peuples, aux valeurs...) et de l'amour passionnel se compléter et se heurter systématiquement, et les 3 personnages voués à se détruire (Pyrrhus, Hermione et Oreste) sont à la fois des petites ordures et des êtres à plaindre. Ces 3 personnages sont écrits de façon complexe et nuancée, tout manichéisme est évité et on en vient souvent à passer de "le.la pauvre..." à "quel.le enfoiré.e" en peu de temps, symbole du chaos sentimental qui les unit et les sépare à la fois. Belle utilisation également des personnages secondaires, les conseillers, qui ont tous leur façon d'épauler le personnage qui leur est lié mais qui sont au final tous des figures pragmatiques qui tentent d'apporter de l'aide à des êtres troublés par leurs émotions. Si Andromaque est le catalyseur des évènements, elle est au final le personnage le plus en retrait de la pièce, agissant comme un spectre, une captive humiliée, qui voit ses "ennemis" se dévorer par la passion et qui obtient au final vegeance et dignité.
Une sobriété radicale pour une très belle pièce selon moi !