Un roman sur mesure pour les fans d'ambiance à la Lost


“Ils avaient continué d'envoyer des expéditions sans leur donner d'informations, comme si c'était la seule possibilité. Nourrir la Zone X mais sans la contrarier, et peut-être que par hasard ou par simple répétition, quelqu'un tombera sur une explication, une solution, avant que le monde devienne la Zone X.”


La mystérieuse, très mystérieuse Zone X a déjà été l'objet de onze expéditions, qui toutes se sont soldées par un échec : suicides, meurtres, cancers, troubles mentaux. La douzième expédition y envoie quatre femmes : une biologiste, une anthropologue, une psychologue et une géomètre. Leur mission, qui pourra durer des mois, voire des années : poursuivre l'enquête gouvernementale sur la Zone X, sorte de jungle tropicale en expansion qui suscite toutes les peurs et toutes les interrogations possibles et imaginables. La biologiste, héroïne principale (pas de noms, information trop précieuse), entreprend d'abord d'aller dans ce qu'elle considère comme une tour, un bâtiment qui s'enfonce sous terre et a plus l'allure d'un tunnel, voire des entrailles d'un organisme vivant. Des quatre scientifiques, c'est elle la plus concernée par la quête de réponses, son mari ayant fait partie de l'expédition précédente, expérience dont il est revenu transformé, absent, avant de se suicider. Des réponses, la biologiste en trouvera peut-être dans les nombreux manuscrits qu'elle déniche au cours de recherches durant lesquelles les phénomènes étranges se multiplient et les dangers redoutés prennent forme.


Comment dire ?... Annihilation, premier tome de la Trilogie du Rempart Sud est certes un (assez) bon livre... MAIS ! Mais on n'est pas dupes, en tout cas pas moi, car Jeff VanderMeer me semble être tout de même un fieffé roublard qui joue de tous les codes des genres SF/Fantastique, et qui de ce fait tente de mener ses lecteurs un peu trop en bateau. Cela étant dit, je pense qu'un grand nombre d'entre eux seront ravis à la lecture de ce roman fait sur mesure pour tous les fans de Lost, mais que de grosses ficelles parfois. Quelques exemples : la Zone X, un nom tout simple mais déjà tellement évocateur pour les amateurs du genre qui peuvent y projeter tous leurs fantasmes : conspiration, expériences interdites, extraterrestres, monstres antédiluviens, etc. Elle s'appellerait la Zone Q se serait différent, mais passons... Il en va de même pour ces mots/concepts tellement chargés de sens : l'Évènement (ça veut tout et rien dire, et d’ailleurs l'évènement est “mal défini”!), la Frontière (ses passages et ses transgressions), le Rempart Sud (de quoi se protège-t-on ? Les autres remparts sont-ils menacés ?), le Rampeur (le “Rôdeur” était déjà pris par Lovecraft), “ils”, “eux” (l'ennemi invisible de la SF parano), la force qui habite la Zone X, et même la proto-Zone X (une préquelle en vue ?).


De toute évidence, Lost inspire l'atmosphère et constitue le sous-texte évident de tout le roman (entrer dans la tour c'est ouvrir la trappe et descendre dans le puits qui mène à la vérité... ou à des mystères encore plus insondables), mais si on a quelques lettres on pensera inévitablement à la Tempête de Shakespeare et son monstre Caliban, ou au Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki, que l'auteur ne peut manquer de connaître. JVDM n'arrête pas de jouer sur le teasing permanent, le mystère, le non-dit, le non-décrit… bref sur l'indicible, un concept fort intéressant, mais la présence/rétention d'informations est un peu trop systématique : les manuscrits sont évidemment incomplets, les vidéos désormais interdites car sur l’une d’entre elles ouh là on ne peut pas vous en dire plus, les témoignages sujets à caution ou autocensurés, tel ces “actes que je ne peux toujours pas me résoudre à mettre en mots”. D'autres passages évoquent même les conspirations à la X-Files : “tant de mensonges, si peu de capacité à affronter la vérité.” En écrivant cette chronique, je me rends bien compte que certains des arguments de résistance aux sirènes de ce roman vont exactement constituer ce qui attirera d'autres lecteurs dans ses rets. Tant mieux pour eux. Peut-être ai-je lu trop de livres et vu trop de films et de séries pour me laisser prendre au jeu de VanderMeer – jeu de pistes ou jeu de dupes ? – car au final Annihilation est un bon produit très bien calibré (une trilogie constituée de trois livres courts faciles à lire, une adaptation ciné en vue, le plan marketing est bien en marche) qui (r)amènera certainement les jeunes et les fans de séries aux cartographies mystérieuses (Lost, Siberia, Wayward Pines) à la lecture, ce qui constitue le plus grand mérite de ce livre.


Mister Lag pour SF Mag,

Mister_Lag
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le 2 avr. 2016

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