C'est pas pareil que le film dis donc

Je me suis fait retourné par Apocalypse Now.
Je l'ai découvert, je l'ai re-regardé 3 fois dans la même semaine et il a hanté mon esprit pendant un bon mois entier. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est mon film préféré car la perspective de revoir toutes ces horreurs(horreur !) de la guerre ne correspond pas vraiment à mes standards de divertissement. Cependant, et je rejoins Karim Debbache sur son expérience avec 2001 : l'Odyssée de l'espace, je pense que derrière chaque cinéphile, amateur ou acharné, il y a un film coup de poing qui a transformé à jamais sa vision du cinéma.

Pour moi, ce film qui m'a marqué, choqué, ému, transcendé, c'est Apocalypse Now. Ce film incroyable de Francis Ford Coppola, avec l'enfer de son tournage, l'enfer de la guerre, l'enfer de la jungle, l'enfer en chacun de ces soldats, cette horreur peinte sur bobine brulée au napalm dans un déploiement baroque de couleurs, de transparence mystique et d'ombres silencieuses, voraces et impénétrables. Ces regards de fantômes portés par Willard et Kurtz, qui scrutent et attaquent par leur intensité.
Je ne sais pas si un jour j'en ferai une "critique" complète. C'est une expérience personnelle tellement intense que j'aurai peur de la dénaturer en la mettant à l'écrit.
Malgré cela, la curiosité m'a poussé à compléter ma connaissance du sujet en partant à la découverte du livre qui nous intéresse aujourd'hui.
Je laisse ici ma petite personne et le cinéma pour enfin me consacrer au sujet ;)

Au Coeur Des Ténèbres.
J'ai longtemps appréhendé la lecture de cette nouvelle, déprimé devant la perspective de me plonger, moi et mon pti boutchou de coeur sensible, au fond des ténèbres de l'humain, et ce, même à travers les yeux d'un personnage qui se contente surtout d'observer et de rendre compte de ce qu'il a vu.
De plus, je m'étais renseigné sur les différences de thèmes et de contextes entre le film et le livre, et j'avais été refroidi. Le contexte du livre n'avait rien à voir avec la violence de la guerre et de l’interventionnisme américain, et s'orientait, disait-on, vers une critique du colonialisme, du pillage de ressources et du racisme de l'époque. Thèmes qui sont très intéressants mais qui ne me mettaient pas vraiment en appétit. C'était purement subjectif et en fonction de mon humeur. J'ai été plus exposé à des oeuvres dénonçant le racisme que l'impérialisme, du coup je serai naturellement plus attiré vers Farenheit 9/11 que vers Django Unchained (il s'agit là de la comparaison la plus hasardeuse et la plus bancale que j'ai jamais faite. Désolé j'espère que vous avez saisi quand même).
Quel erreur !

Ce court roman (ça ça m'a motivé plus qu'autre chose :b ), en dépeignant sa toile de fond avec un observateur effacé et "objectif" (Marlow/Willard), installe une ambiance sombre qui se suffit à elle même en tant que critique, et s'en sert pour développer son véritable propos qui prend une dimension plus universelle.

Juste avant d'écrire cette critique, j'ai lu un commentaire assez virulent qui s'agaçait de voir attribué au récit la dénonciation du colonialisme, que cet aspect était mineur, et se plaignait de voir que la réflexion sur la nature humaine, était trop peu mise en lumière.
Il est vrai que lire le roman à travers le seul prisme de l'anti-racisme (ce qui, à mon avis, est impossible) serait passer à côté d'une richesse plus profonde qui se développe lentement tout au long et explose dans un bouquet final de noirceur.
Néanmoins, je trouve ce reproche inutile car il divise et oppose le propos en deux parties distinctes qui ne sont que les facettes d'une même piècel ; le racisme n'étant qu'une facette du mal en général, tel qu'il est dépeint dans le livre. On ne peut, en lisant "Au Coeur Des Ténèbres", échapper à l'introspection et aux questionnements qu'il soulève. Confronté à la jungle, à la vie primitive, "la sauvagerie" comme Marlow la nomme, l'humain est livré à ses craintes, ses instincts et se perd dans les ténèbres. Le mal et la folie sont-ils prêts à surgir du fond de notre esprit à tous ?

Bien sûr tout le monde a des attentes et une vision propre, il y a autant de manière de voir une oeuvre qu'il y a de lecteurs. C'est pourquoi les meilleurs œuvres sont, pour moi, celles qui réussissent à passer un message qui parle à l'inconscient collectif et qui nous touche tous d'une manière différente mais nous touche tout de même.
"Au Coeur Des Ténèbres" a acquis sa réputation et son statut d'oeuvre culte parce qu'il parle d'une lutte intérieure profonde, émotionnelle, qui résonne dans chaque personne. Servie par l'atmosphère onirique et brumeuse dépourvue de repères spatiaux et temporels précis, le style littéraire très imagé qui montre des personnages lancés dans une quête qui les poussent dans leurs limites physiques et mentales, les rendant plus humains et permettant une meilleure projection du lecteur.

En conclusion je dirai que j'ai retiré une étoile pour la noirceur trop profonde dans laquelle il m'a plongé. Comprenez là qu'il remplit trop bien sa mission ce qui le rend détestable et admirable à la fois ^^ (pas autant que le film cela-dit).