Lorsqu’on s’engage dans une nouvelle lecture, quelle est la part des précédentes lectures dans l’appréciation d’une œuvre ?


Au grand jamais est à ce jour en lice pour le prix du roman des étudiants avec France Culture. Or, il se trouve que les deux romans qui sont passés entre mes mains juste avant celui-ci m’ont franchement déplu, parmi les choses qu’ils avaient de semblable et qui m’avaient déplu, il y avait le style. Alors je me plongeais dans la lecture, en implorant le ciel que celui-ci soit plus “classique” dans son style. Alors peut-être ma critique aurait été différente, si je n’avais pas eu de comparaison.


Au grand jamais est un roman à la première personne qui décompose des souvenirs pour enquêter sur la vie d’une femme disparue, la mère de la narratrice. Introspection, ressentie, rencontre et conjecture font de ce roman un puzzle émotionnel.


Au tout début, j’ai pensé à la place d’Annie Ernaux, le début est similaire, un parent meurt, on parlera donc de ce parent, dans tout ce qu’il a été, sans pudeur. Et tout au long du roman, on pourra trouver avec la célèbre autrice nobélisé des points de comparaisons, comme la relation de transfuge. Mais tout en ayant des points de repère dans le récit mémoriel, l’autrice veut apporter des thèmes qui marqueront le tempo du récit, on glisse sans lourdeur, d’une idée à une autre, et on place des fils de liens rouges l’enquête. La vraie enquête : pourquoi nous parle t'elle de ceci maintenant ?


Parmi les thèmes qui m’ont marqué et que je sers en bouquet, la poésie, la disparition des femmes, l’amitié, la famille, l’immigration.


“Ils commencent à saisir qu’on ne pratique pas impunément l’art de l’écart. Au fond, ils sont entrés en poésie comme on entre en résistance.”

Parmi tous ces thèmes, il y a quelque chose qui m’a ému aux larmes. La narratrice est jeune mère, et sans jamais le dire, elle vient puiser un modèle, chez sa mère, avec la révolte de la jeunesse et des non-dits, mais aussi avec reconnaissance de ce qui a été pour elle une barque solide.


“Elle a toujours été là où je l’attendais. C’était presque la définition de la maternité. Et longtemps – qui fait attention à sa mère lorsqu’elle est là ? Lorsqu’elle est là où on l’attend ? – longtemps, je n’ai pas pensé à elle. Ainsi, j’ai pu penser à tout le reste. Au monde, aux hommes, aux livres.”

Le style est plaisant, fluide, aéré. On n'est pas dans le lyrisme brut, la finesse de l’érudition se met au service d’une poésie clairsemée, par exemple, il y a des répétions, dans la fin du roman d’expressions dites au premier chapitre, qui ont un sens nouveau et qui viennent nous toucher.


Ce n’est pas juste une autofiction, et c’est encore cela qui m’a plu. On comprend au fur et à mesure qu’on est dans un entre-deux entre le réel et le fantastique. Il y a quelque chose avec ce don.


Le vrai talent de cette œuvre est d’avoir dispersé dans les premiers chapitres des éléments qui sont restés en suspens, des éléments qui attendaient que le lecteur s’attache au récit et qui viennent foudroyer le cœur du lecteur quand celui-ci vient à peine d’être conquis.


Je recommande ce roman, à ceux qui s’intéressent aux poètes de l’autre côté du rideau de fer, à ceux qui aiment l’autofiction et qui veulent la voir autrement, à ceux qui aiment écrire et ceux qui aiment les enquêtes.


En ce qui concerne le prix, l’entroubli aurait pu gagner, car il m’a beaucoup plu également, mais je crois que ce roman est plus abouti.


Chaouix
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