On ne compte plus les récits sur la Grande guerre, ses tranchées, ses rats, sa correspondance, ses héros, ses victimes. Ce qui explique peut-être la grande exigence que l'on a envers tout nouveau roman prenant cette époque pour théâtre. Au revoir là-haut se distingue pourtant dès son entame. Surtout, finalement, dans son entame. Avec un style direct, familier mais recherché, Pierre Lemaître nous asphyxie avec son héros lorsqu'il se retrouve sous terre - et vivant - en pleine scène de guerre. Cette tête de cheval putride, qui le hantera tout le long, symbolise l'aspect ordurier et puant de la guerre que Lemaître a souhaité mettre en avant. Des corps qu'on laisse pourrir au grand jour, comme celui d'Edouard. D'autres qu'on glorifie justement parce qu'on ne les voit plus, parce qu'ils n'existent plus physiquement, si ce n'est à travers ces cadavres que l'on maltraite tout autant. On est si facilement pacifiste et, pourtant, on le dit si rarement. Lemaître parvient à l'exprimer avec subtilité et force à travers l'escroquerie d'Albert et d'Edouard. Celui-ci la considère d'ailleurs plus comme un geste artistique. Un happening monumental. Malheureusement, le récit s'essouffle un peu au fil des pages. Même le style devient plus paresseux, cédant progressivement à la nécessité de faire avancer l'intrigue. Les personnages sont inégaux, parfois caricaturaux - oh le grand méchant Pradelle - parfois très intéressants, comme Madeleine. Pas étonnant d'ailleurs qu'il l'ait choisie comme héroïne pour la suite. Au revoir là-haut aurait pu être un grand livre, il l'est d'ailleurs à certains égards, mais la démarche reste inaboutie à mes yeux.

gaspard24
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste lectures 2021

Créée

le 30 nov. 2021

Critique lue 28 fois

gaspard24

Écrit par

Critique lue 28 fois

D'autres avis sur Au revoir là-haut

Au revoir là-haut
nm-reader
9

Les héros sont bien plus utiles quand ils se taisent

"Le pays tout entier était saisi d'une fureur commémorative en faveur des morts, proportionnelle à sa répulsion vis-à-vis des survivants." Cette courte phrase, située en milieu de récit, résume on ne...

le 14 déc. 2013

28 j'aime

Au revoir là-haut
Olivier_Paturau
4

Critique de Au revoir là-haut par Olivier Paturaud

Au revoir là-haut prend le parti de faire le récit d'un pan mal connu de l'histoire de la Grande Guerre : comment les démobilisés auraient été abandonnés par l'Etat au lendemain de l'armistice ...

le 13 nov. 2013

18 j'aime

8

Au revoir là-haut
PierreAmo
10

Paroles de Poilus qui se rebiffent (lu grâce au projet d'adaptation par Albert Dupontel)

(Remarques écrites en 2016 juste après sa lecture émouvante, corrigées en 2020). La litanie de noms et références n'est pas de moi, ce n'est pas mon name-dropping: ils ont été cités de manières très...

le 16 janv. 2016

17 j'aime

3

Du même critique

Les Lumières de la ville
gaspard24
10

L'Amour fait cinéma

Non, non, non. Toi là! Je te vois venir, avec ton air de connaisseur, de chevronné, de celui qui n'a jamais tort, qui a la science infuse! Je te vois venir avec tes "Pour l'époque, c'est vrai que...

le 25 août 2015

12 j'aime

3

Sans adieu
gaspard24
8

Sans personne

Claudette ne supporte pas son chien qui lui colle aux pattes. « Du balai sale cabot » vocifère-t-elle d’une voix qui percerait les tympans du plus sourd des hommes. Il faut dire qu’elle se...

le 4 nov. 2017

10 j'aime

Lost in Translation
gaspard24
8

Insoutenable légèreté

S'il fallait ne retenir qu'une comédie dramatique, ce serait bien celle-là. Deuxième long-métrage de Sofia Coppola, Lost in Translation raconte l'histoire de deux Américains paumés au Japon. Bob...

le 4 avr. 2015

10 j'aime

1