Aziyadé
7.3
Aziyadé

livre de Pierre Loti (1879)


Pourquoi faut-il lire ce livre ?



Ce roman, cet auteur, assez peu connus méritent un détour ! Loti est probablement l'écrivain de voyage le plus fascinant, ne serait-ce que par sa vie, romanesque en elle-même. Officier envoyé aux quatre coins du monde et de l'Empire français, il ne cesse de tomber amoureux des villes, des gens et des pays qu'il visite. Voyager s'apparente chez lui à la déréliction, c'est-à-dire à l'errance d'une âme en peine dans les vieilles pierres des cités arabes et ottomanes, sans cesse nostalgique mais pas désespérée. C'est ce qui le fait vivre. Ainsi, arraché à son pays, loin de sa famille et de ses proches, il ne lui restait qu'à s'inventer des vies dans des contrées exotiques, charme d'un Orient qui ne cessait de le dévorer, au point d'écrire non plus une autobiographie ou un récit de voyage mais une sorte d'autofiction, une aventure romanesque, romantique et orientale. Le réel et la fiction se mêlent si bien que tout l'enjeu du récit est alors de déceler le fantasme de la vérité. Le voyage n'en est que plus beau !



Autobiographie ?



Le livre décrit l'arrivée à Istanbul de Pierre Loti dans les années 1870. On sait qu'il y séjourna un moment et rencontra une femme là-bas avec laquelle il eut une histoire d'amour. Son nom est encore présent dans la ville aujourd'hui avec le fameux café Pierre Loti.
Loti est un extraordinaire conteur. Il décrit la ville, les us et les coutumes ottomanes comme nul autre, avec une ouverture et une curiosité rare pour l'époque, avec un sens du respect de l'autre mais aussi un recul critique et une amertume certaine. D'autant plus que la période où il est à Istanbul est une période de grand chambardement dans l'empire ottoman. Des évènements décisifs sont en cours dans un empire qui se disloque et vieillit peu à peu, incapable de se transformer.



Roman ?



Pourtant, le sous-titre de l'oeuvre indique : extrait de notes et d'extraits d'un lieutenant de la marine anglaise, devenu turc... Curieux paradoxe. Le livre ne serait pas une autobiographie mais un roman. Loti s'efface derrière un personnage.
De ce curieux mélange entre souvenirs et fantasmes, entre récit de voyage et fiction nait Aziyadé.
Tout est rêve ici. L'histoire d'amour onirique, la femme, arrachée à son harem, comme si c'était possible, et l'envie de Loti de devenir lui-même un turc, de rester là-bas. C'est ainsi que le dernier chapitre du livre nous explique que le narrateur s'est engagé dans l'armée ottomane et est mort au combat. Loti se fait mourir, à la fin de son histoire. Etrange.



Les deux mon capitaine ! Une autofiction qui ne raconte rien mais qui en dit beaucoup



On pourrait donc parler d'une autofiction dans le cas de Loti. Une autobiographie arrangée, transgressée. Loti joue mais pourtant, que ce soit la vérité ou non, tout est beau ici. C'est le fantasme de l'Orient plus que l'Orient lui-même qui compte.
Il ne se passe à vrai dire pas grand chose dans ce livre. L'intrigue se résume à quelques péripéties intéressantes mais assez brèves. C'est un roman, avant tout, sur l'errance etsur la déréliction. Une fuite contre le temps. Car, un jour, le soldat en garnison, devra rejoindre la flotte et partir... Lutter contre ce temps consiste à parler des turcs, de leurs coutumes, à arpenter les rues. Dans la minutie des descriptions, des anecdotes, des dialogues creux ou de la correspondance du narrateur avec d'autres occidentaux, le personnage se perd. Son histoire d'amour l'arrache à ses attaches, à ses principes, à son pays. Il est perdu. C'est aussi la description d'un empire Ottoman sur le déclin, d'une ville magnifique mais vieille et usée.



Le fantasme de l'Orient



En réalité, c'est un sujet très vaste dont traite Loti ici, celui de l'Orient et des rêves qu'il entretient.
Aziyadé, si elle a été la femme que Loti a rencontré, n'est-elle pas qu'un prétexte, qu'une allégorie de l'Orient, jeune, sauvage et fougueuse ? Loti ne met-elle pas en elle tout ce dont il rêve de ces pays de l'est, des portes de l'Asie ? Le vrai personnage n'est-il pas Istanbul, mystérieuse, aux volets clos, aux rues désertes, aux tombes recouvertes de mousse? Cet Orient existe-il encore, a-t-il vraiment existé ? Personne ne le sait. Mais, devant une telle admiration, Loti décide de devenir turc, de se fondre dans l'Orient, de s'y perdre et d'y mourir pour ne pas oublier son amour perdu.


Un livre entre le vrai, le faux, le roman, l'autobiographie mais un livre sur une ville magnifique, Istanbul et sur le sentiment de nostalgie que nous procure les grands voyages et les belles rencontres. Un livre qui vit et rêve l'Orient au point que cette grande illusion orientale devient pour l'auteur et pour nous plus qu'un fantasme, une réalité.

Créée

le 25 août 2013

Modifiée

le 6 nov. 2014

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Tom_Ab

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