Passionnante satire politique de la fin des années 1970

Pendant que l’on attend avec impatience le dernier tome de la trilogie en cours de Frédéric Paulin, paraît le premier volet d’un autre triptyque tout aussi passionnant et documenté, ouvrant un point de vue complémentaire sur la France politique et policière de la fin des années 1970 à la décennie 1980.


L’on entre dans le récit à une période charnière, alors que le proche tournant des années 1980 annonce une nouvelle décennie frappée au coin du changement. Un jeune brigadier, Jean-Louis Gourvennec, est sorti traumatisé d’une mission des Renseignements Généraux qui a mal tourné à l’ombre des barricades de mai 1968. Dix ans plus tard, on le retrouve membre du SAC et infiltré dans un groupe révolutionnaire proche d’Action directe. C’est aussi en cette année 1978 que, fraîchement émoulus de l’école de Police, Jacqueline Liénard et Marco Paolini rejoignent les RG pour l’une, l’Antigang pour l’autre. Il ne manque plus qu’un dernier personnage fictif, Robert Vauthier, ancien mercenaire et barbouze bien décidé à se reconvertir en patron de boîtes de nuit parisiennes, pour raconter de leurs points de vue à tous les quatre, eux qui, tant du côté de services rivaux de la police que de celui, bien poisseux, de la mafia et des tueurs à gage, vont se retrouver au coeur des affaires criminelles les plus retentissantes de l’époque, les dessous fort peu reluisants du pouvoir, là ou la politique et le crime s’entremêlent sans plus guère de frontière.


Menée tambour battant au rythme nerveux et musicalement travaillé d’une écriture trempée dans l’humour noir, l'intrigue happe le lecteur subjugué, souvent étonné de redécouvrir une époque finalement méconnue et ravi de se replonger avec un brin de nostalgie dans ses mille détails concrets et quotidiens.

Entrecoupé d’extraits d’articles de presse, de rapports de police et d’écoutes téléphoniques, le récit construit sur une documentation dont les annexes en fin de volume laissent percevoir l’impressionnante méticulosité, rebondit au gré d’une actualité marquée par la crise pétrolière et les difficultés économiques en cascade, par la vague d’enlèvements et d’attentats terroristes qui secoue la France, par les dérives de la Françafrique, le renversement de Bokassa et le scandale des diamants, par l’exécution en pleine rue de Mesrine, les assassinats de Pierre Goldman et de Henri Curiel, le « suicide » de Robert Boulin, le tout sur le fond enfiévré d’une guerre des polices sans merci, de basses manoeuvres politiques et de collusions mafieuses qui, dans un tourbillon mêlant le Tout-Paris jusqu’à ne plus savoir distinguer les sbires enfarinés de respectabilité et les dignitaires mouillés dans le crime et la corruption, d’actions violentes en manigances troubles et au fil de dialogues claquant d’une façon plus juste et savoureuse les uns que les autres, évoque à une puissance démultipliée l’un de ces films de flics et de voyous devenus des classiques où, aux côtés d’Alain Delon et de « Bébel », des commissaires Broussard et Ottavioli, des frères Zemour et de Tany Zampa, apparaîtraient Valéry Giscard d’Estaing, Yasser Arafat, Omar Bongo ou encore Kadhafi.


Une citation de Nietzsche précise en exergue que « Rien de ce qui suit ne s’est passé de cette façon. Tout aurait pu se passer de cette façon. Et pourtant, rien. » Historiquement exact mais narré du point de vue de personnages fictifs si bien placés au coeur du mal qu’ils ne ressentent plus que lui, le roman est un concentré de noirceur exacerbant la réalité jusqu’à la satire, une caricature musclée toute de tension électrisante qui se lit en un seul long souffle, éberlué et fasciné, au long de ses huit cents pages. Il n’est pas jusqu’à la dernière phrase pour s’attacher jusqu’au bout, et plus encore, le lecteur impatient de découvrir la suite, avec un deuxième tome promis pour cet automne. L’auteur qui dit s’être inspiré d’Ellroy et de sa vision particulièrement pessimiste d’un monde corrompu est ici indéniablement à la hauteur du maître. Coup de coeur.


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Cannetille
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le 17 juin 2025

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