Bristol
6.6
Bristol

livre de Jean Echenoz (2025)

Ce roman avance en oscillations, en contretemps, en micro-dérapages.

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Dans Bristol, quelque chose avance de travers — un pas à côté du réel — et ce léger décalage rappelle d’emblée W.G. Sebald. Comme chez Sebald, le déplacement géographique devient une manière de sonder les failles intimes, de faire affleurer les fissures du monde. Mais là où Sebald enveloppe tout d’une mélancolie brumeuse, Echenoz s’amuse à creuser l’air, à laisser entrer une ironie sèche, un humour qui déstabilise. Même décor fragile, mais baromètre affectif radicalement opposé.


La dynamique entre Robert, cinéaste hésitant, et Céleste, actrice trop lumineuse pour le cadre, renvoie aussi au jeu trouble que Claire Denis orchestre dans Beau Travail. On retrouve cette tension entre les corps, cette manière de filmer — ou d’écrire — la chaleur comme une matière morale. Sauf qu’Echenoz refuse l’intensité sensuelle de Denis : là où elle cherche la brûlure, lui cherche la faille, le minuscule décrochement qui introduit de la comédie dans le drame. Une ressemblance de vibration, mais pas de température.


Quant au motif du tournage, il fait penser à Michael Haneke, non pour sa violence, mais pour son rapport au dispositif : chez Haneke, la caméra révèle les mensonges ; chez Echenoz, elle les fabrique. Les deux mettent en scène un monde où l’image déforme la vérité, mais Haneke durcit, Echenoz déjoue. Ce contraste aide à lire Bristol aujourd’hui : dans une époque saturée de fictions, Echenoz montre que même le tournage d’un film d’amour et d’aventure devient un terrain d’esquive, de rôle permanent, de faux naturel assumé.


Ces rapprochements ne posent pas des étiquettes : ils montrent comment le roman circule entre trois héritages — le voyage introspectif à la Sebald, la chaleur sensorielle à la Denis, la conscience du dispositif à la Haneke — pour n’en retenir qu’une impulsion, un rythme, une inquiétude. Bristol ne cherche pas la grande fresque ni la puissante émotion. Il avance en oscillations, en contretemps, en micro-dérapages qui dessinent un portrait discret, presque furtif, de ce que devient l’aventure quand elle n’a plus les moyens d’être héroïque.


Cette lucidité sans lourdeur, cette manière de faire trembler le réel par fragments, donne au texte sa force : on lit moins une histoire qu’un déplacement du regard.


Ma note : 14 / 20


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Le-General
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il y a 6 jours

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Le-Général

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