Dans la forêt
7.8
Dans la forêt

livre de Jean Hegland (1996)

Il est toujours un peu périlleux de s'attaquer tardivement à un roman devenu un best seller, dont tout le monde a parlé, que tout le monde a lu, parce qu'à travers le regard des autres, on investit déjà le livre, on s'en fait une idée, on se créé des attentes.


Et il est encore plus difficile de s'y attaquer quand le sentiment est absolument unanime sur le livre, comme en l'espèce, où tant la critique que les lecteurs se sont montrés dithyrambiques à l'égard de ce premier roman de l'américaine Jean Hegland.


J'attaquais donc Dans la forêt avec la confiance des innocents... et comme eux, je me suis heurtée à l'incompréhension la plus totale de l'opinion de mes contemporains.


Car il faut le dire, je suis passée, mais alors, à mille lieues à l'ouest de cette fable écolo-romantique un peu niaiseuse, qui ne m'a procuré qu'un vague sentiment d'ennui, et parfois d'agacement, ne lui enlevons pas cela.


Nell et Eva ont 17 et 18 ans, elles sont sœurs et vivent au milieu des bois, où leurs parents les ont élevées, non pas en les coupant totalement du monde, mais en décidant d'en rester à la marge.


En quelques mois, la famille voit ses conditions de vie changer au rythme des coupures de courants, d'eau... Le monde vacille, puis s'écroule.


A l'instar des deux protagonistes, isolées dans leur forêt, le lecteur ne sait pas vraiment ce qu'il s'est passé (et jusque là c'est d'ailleurs plutôt bien vu) l'économie semble avoir sombré, s'ensuivent les pillages, les violences, les maladies...


Les deux ados et leur père (la mère est vite évacuée de l'histoire, c'est peut être un peu dommage d'ailleurs) errent dans ce monde qui se vide de ses vivants, essaient de continuer leur vie, presque comme avant.


Pour le coup, la manière de l'auteur de décrire cette sorte de stupéfaction paralysante qui frappe la famille, persuadée que les choses vont revenir à la normale, que ce n'est qu'une question de jours, de semaines au pire, est plutôt bien vue.


On comprend bien le désarroi, le refus de s'avouer qu'on vient de tout perdre, qu'il va falloir se réinventer.


Et puis à un moment le père meurt, les deux gamines se retrouvent seules, et là, franchement, c'est le drame.


Le roman, qui jusque là se voulait précisément un roman ultra réaliste, concret, loin des clichés de livres ou films post-apocalyptiques remplis de gens qui se découvrent super-héros du jour au lendemain, bascule vers un mélo débilitant où l'auteure nous apprend qu'on peut faire des tisanes avec les plantes et faire sécher des tomates au soleil...


Le gros problème, en sus de la naïveté un peu gênante de cette deuxième partie du livre, c'est son absence totale de cohérence.


Voilà donc deux enfants de la forêt, déscolarisées elles ont passé leur temps à courir entre les arbres et s'inventer des histoires au creux de vieilles souches, et dont on nous explique qu'elles découvrent, à 17/18 ans, qu'on peut manger des fraises bois et faire pousser des légumes...


Pardon, mais à quel point faut-il n'avoir jamais mis les pieds à la campagne pour croire à pareil discours?


L'auteure elle-même semble bien consciente de la difficulté puisque, pour parer cette dernière, elle invente à la mère (qui est morte, c'est pratique) accrochez-vous, une phobie des sangliers et des baies sauvages...


Donc voilà, la maman a interdit à ses fillettes de s'approcher des plantes... après avoir décidé de vivre au milieu de la nature, loin du bitume et des hommes... donc elles savent pas, les pauvres...


Soyons sérieux un instant, tout ceci ne fait pas sens.


ATTENTION DIVULGÂCHAGE: Aussi on s'y attendait bien, au milieu de ses considérations de survie, il fallait ramener de la tension et je vous le donne en mille, quoi de mieux qu'un viol hein, évidemment... L’événement intervient de manière parfaitement inopportune, c'est mal amené, c'est mal décrit, c'est mal tout court. Et là comble du comble, la sœur dont on nous rabâche depuis 150 pages qu'elle est une danseuse anorexique, qui n'a ses règles qu'une fois tous les 3 ans, alors qu'elle est affaiblie, anémiée, affamée, et ben bien sûr elle tombe enceinte... Premier coup, c'est pas de bol et c'est surtout pas crédible une seconde. FIN DU DIVULGÂCHAGE


Au delà des incohérences du fond, sur la forme, on n'atteint ni la canopée, ni les sommets de la littérature.


Certains moments sont mêmes très gênants:


"Je n'ai jamais vraiment sur combien nous consommions. C'est comme si nous ne somme tous qu'un ventre affamé, comme si l'être humain n'est qu'un paquet de besoins qui épuisent le monde."


Là déjà, j'ai pleuré un peu, mais accusons la traductrice, après tout... Quoiqu'il en soit, poursuivons:


"Pas étonnant qu'il y ait des guerres, que la terre et l'eau et l'air soient pollués. Pas étonnant que l'économie se soit effondrée s'il nous en faut autant à Eva et à moi pour rester tout bonnement en vie".


Sérieusement... on dirait le discours d'une candidate Miss France, et personne, en voulant rester honnête, ne peux dire le contraire.


Le discours est convenu, amené avec des ficelles tellement énormes qu'on dirait des câbles électriques.


Je n’ai rien contre le fait d'enfoncer des portes ouvertes, c'est un peu le mal de notre temps, mais qu'au moins ce soit fait avec panache!


C'est tellement bien pensant, c'est comme un western des années 50 mais sans le charme kitsh de ces nanars adorables...


En fait de nature writting, il existe tellement de choses meilleures, rien que cette année, chez nous, Vincent Almendros sortait aux Editions de minuit son Faire mouche qui, avec une surprenante économie de mots, nous plongeait directement la tête dans l'humus.


Je ne peux pas vous dire de ne pas lire Dans la forêt, tout le monde à aimé, pour autant, lisez plutôt McCarthy, Gabriel Tallent, Vincent Almendros... et, si vous êtes adepte de survivalisme naïf, les Manuels des Castors Juniors, qui eux vous apprendront comment allumer un feu ou construire une vraie cabane.

Chatlala
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le 14 sept. 2018

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Chatlala

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