Le titre de cette critique pique autant les yeux que le début du roman, et pour cause ; nous suivons l'histoire de Charlie Gordon à travers son écriture, adulte attardé motivé par sa volonté d'apprendre et de devenir comme tous les humains qu'il côtoie : normal.
Charlie se fait repérer par un groupe de scientifiques qui proposent de le faire réellement devenir plus intelligent, contrairement à tous les escrocs que ses parents lui on fait rencontrer dans sa jeunesse. Durant tout le processus, les scientifiques lui demanderont de rédiger des comptes rendus afin de suivre le fil de ses pensées et de son évolution et c'est à travers ces comptes rendus que nous est racontée l'histoire.
Ces comptes rendus successifs rendent toute l'histoire plus réelle à tel point qu'il pourrait être mentionné "basé sur des faits réels" sans que cela ne choque. Nous sommes placés à la place des scientifiques qui lisent les notes du cobaye (tel qu'il s'appelle) et suivent sa progression. Toutefois, il est impossible de rester stoïque à la manière d'un homme de science qui suit son sujet, tant les notes de Charlie sont prenantes.
Les moment les plus forts du roman concernent les souvenirs que Charlie a de lui-même, où il se voit enfant. Il peut alors comprendre ce qu'il se passait autour de lui, contrairement à l'époque. Il revit les disputes de ses parents d'un autre point de vue, ses paniques et ses "oubli" sur lui-même. Il revit le désir de sa mère que de faire de lui un enfant comme les autres, et de la dureté avec laquelle elle l'élevait dans cette optique. Puis l'abandon de celle-ci lorsque sa sœur normale est née.
Il serait facile d'amenuiser ces événements, de retirer la sensibilité et la puissance de ces souvenirs, supprimer la tristesse et la désolation, l'impuissance des parents face à la situation mais Daniel Keyes n'emprunte pas ce chemin. À l'inverse, par le biais de Charlie qui se développe et qui se remémore, il transmet toute la solitude que ressentait le gamin attardé, toute la terreur qui le remplissait. Via le personnage principal, l'histoire de l'enfant moqué, méprisé, simple mais bon nous prend aux tripes.
Sûr qu'après ce roman, personne ne traitera plus un enfant attardé comme avant.
En plus de nous tracer les difficultés que représente la vie pour un enfant mentalement déficient, Des fleurs pour Algernon nous raconte l'histoire d'un homme qui découvre le monde vitesse grand V. Toutes les choses qui paraissent naturelles sont pour lui une aventure. Ses réactions sont partagées entre celles d'un adulte ; le nouvel homme qu'il est, et celles d'un enfant : l'enfant Charlie encore dans sa tête. L'évolution rapide dont il est sujet le perturbera au plus haut point.
Charlie Gordon nous entraîne donc dans un périple particulier, où il est question de compréhension et d'apprentissage à une vitesse surhumaine. Mais aussi de dégénérescence...
Il nous rappelle que seul quelqu'un ayant vécu l'expérience d'être attardé, peut comprendre ce que cela signifie, mais par dessus tout, qu'un mentalement déficient reste un être humain, et qu'il est à traiter en être humain.
Les dernières pages sont les pires ; elles sont les plus douloureuses autant pour le personnage principal, ses proches mais aussi pour nous qui le suivons depuis le départ. L'expérience l'a changé et le change encore. En mettant noir sur blanc l'évolution de son état, le personnage principal nous entraîne avec lui vers le noir. Il déteste la pitié à son égard, mais que ressentir d'autre ?
Des fleurs pour Algernon change la perception du monde et des gens. Il est de ces livres qui vous marquent, je crois bien, à jamais. Charlie Gordon restera dans ma tête, et je ne pourrais pas m'empêcher de penser à lui à chaque fois que je croiserai un enfant dans son cas.