Du champagne, un cadavre et des putes, tome 3 par Deidre

S'il s'inscrit dans la continuité des deux précédents, ce tome marque également une rupture forte dans la perception que j'en ai eu : fini de contextualiser, il est temps de rentrer dans le dur !


Dans ce tome, nous alternons entre les passages du journal d'Alice dans lesquels elle parle de sa condition d'escort, et même plus généralement de la condition des prostituées (Super-Alice contre les sales putes, avouez que ça se pose là !), avec ceux des auditions formelles ou informelles de Lawrence, dialogues tournant au monologue et cristallisés autour de la même idée : quelles sont les causes et les conséquences de la stigmatisation active subie par les prostitués.


Comment ça, plus de 400 pages de thèses pro-putes ? Exactement ! Et c'est tout simplement brillant !


Brillant dans le propos : on est loin du débat bas de plafond, on est loin de l'endoctrinement ou du prosélytisme. On est dans le juste rappel historique et sociétal, on est dans le don généreux de l'ensemble des clés nécessaires pour se forger sa propre opinion. Le discours est richement développé, les pensées solidement étayées. Aucun détail n'est laissé au hasard, aucun biais, aucun préjugé, mais sans cesse sera questionné ce qui est de l'ordre des faits, et ce qui est de l'ordre de l'opinion.

Brillant dans la forme, également. Ce tome est, je pense, celui qui m'a le plus impressionné par la maîtrise de sa structure narrative, de son ton et de son rythme. Les passages racontant une histoire étant peu présents (mais formant tout de même d'indispensables respirations), il faut toute la maîtrise de l'auteur pour rendre vivant des chapitres entiers d'explications. Il va sans dire que c'est parfaitement exécuté. Qu'on ait l'impression de se faire engueuler (non, c'est pas moi, Alice, juré, craché !), qu'on finisse un chapitre en se disant : "Non mais, sérieusement ", qu'on ait envie de hurler, de répondre, de s'indigner avec ou contre les personnages, qu'on se demande où l'auteur veut en venir, on vit cette lecture avec l'intensité d'une épopée. Le propos s'arrête toujours au moment où il le doit, les respirations ponctuent parfaitement le récit, l'alternance surtout, entre les écrits d'Alice et les paroles de Lawrence, différentes mais intriquées, se répondant parfaitement avec pourtant une rupture de ton abyssale, est en elle-même un prodige.


Ne croyez pas, cependant, que l'auteur en a profité pour délaisser ses personnages au profit de ses thèses. Ce tome est également celui où les deux protagonistes principaux se montrent le plus impudique. En effet, si connaître l'histoire de quelqu'un permet de le cerner, entendre la vision qu'il porte sur les choses, découvrir la façon dont il présente ses arguments, observer, surtout, de quelle façon il évoque ceux à qui il s'oppose est infiniment plus éclairant.

La luminosité d'Alice éclate, irradie, déborde quand elle enfile ses gants de boxe. Même quand elle tire à boulets rouges, même quand elle me semble injuste, même quand je ne la comprends pas, je ne peux qu'admirer sa fougue, et me laisser emporter par sa passion. Par contraste, Lawrence apparaît de plus en plus sombre, en figure cynique détachée que plus rien ne peut atteindre, quand la tristesse semble s'échapper de chacune de ses phrases.


Plus de 400 pages, donc, lues avec autant de fougue qu'elles semblent avoir été écrites, qui m'ont émue, attristée, offensée, enthousiasmée, fait rire... confortée, aussi, sans trop de surprise...

Une lecture qui, encore, demande de l'implication et de la confiance en un auteur qui sait toujours où il veut aller, même si parfois le chemin est chaotique.


Une dernière chose : ce tome peut sans trop de soucis se lire indépendamment des deux premiers. Il est (pour le moment du moins, qui sait ce que nous réserve l'avenir ?) le point d'orgue du récit, la concrétisation de ce qui a été construit durant les 2 premiers tomes. Si vous souhaitez prendre le train en route, montez à cet arrêt. Pour ma part, j'attends la suite du voyage.


Deidre
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le 8 mai 2023

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