Plutôt que d'aller voir le film, lisez plutôt le livre. J'avais beaucoup d'à priori sur ce récit en rapport avec le battage médiatique épuisant qui faisait suite à je ne sais plus quel prix littéraire et l'habituelle tournée des popotes de l'auteur chez Ruquier et ses amis. Et j'ai été très agréablement surpris par le style tout autant que sa fluidité narrative qui mêle très bien une exigence purement littéraire (syntaxe empruntant autant au procédé psychanalytique et philosophique qu'au plaisir intuitif de phrases courtes et symboliques) et un aspect purement ludique ou les péripéties plus extravagantes les unes que les autres s'enchaînent avec un dynamisme qui ne nous laisse jamais le temps de nous ennuyer.


L'histoire d'un couple assez improbable narrée depuis le point de vue (relativement) innocent de leur fils. Cela conte avec une mélancolie jamais démonstrative ce qu'il en coûte aux personnes qui tentent de se frayer un chemin existentiel en dehors de la rigidité sociale communément admise comme étant le seul garant de tous les équilibres moraux. Le récit dose savamment et avec efficacité des tranches de vie tantôt gaillardes affranchies de toutes responsabilités, suivies d'autres ou cette liberté transgressive (sans être non plus un manifeste sociologique anticapitaliste et libertaire , car tel n'est pas le sujet central bien qu'il transparaisse en de rares occasions en filigrane) est tôt ou tard rattrapée par une réalité concrète du quotidien qui empêche toute velléité utopique.


Plus qu'une tentative de décryptage des marges (sociales, psychiques) qu'il esquisse par ailleurs avec une belle acuité, c'est un geste de démiurge qu'ose Bourdaut avec cette envolée régulièrement lyrique sur l'appropriation de ses propres désirs comme matrice de la jouissance sans entrave. Sans aller jusqu'à comparer celui-ci aux analyses les plus passionnantes sur l'anarchie, il n'en reste pas moins rassurant qu'un auteur populaire sache manier avec dextérité divertissement et exigence littéraire, à l'heure ou la culture de masse laisse de moins en moins de place à l'intelligible.


"Ce beau récit nous plonge dans les souvenirs du fils unique d’un couple un peu fou qui avait choisi de vivre en marge de toutes les conventions et de la soi-disant normalité. Son enfance et son éducation ne se déroulent pas comme celles des autres enfants. Ce ne sont pas les devoirs et l’école qui rythment son quotidien, mais les fêtes et les voyages. L’animal de compagnie de la famille n’est pas un chat ou un chien, mais un oiseau exotique nommé « Mademoiselle Superfétatoire » qui erre en toute liberté dans leur appartement. Pourtant le bonheur est là et il ne manque de rien.
« Je ne pouvais pas regretter cette douce marginalité, ces pieds de nez perpétuels à la réalité , ces bras d’honneur aux conventions , aux horloges , aux saisons; ces langues tirées aux qu’en dira t on. »
https://www.facebook.com/Bipolaireonair/photos/a.569224600239235/1308619749633046/

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