Paul, luthier vieillissant qu’un drame personnel a plongé dans la solitude, n’a plus l’élan intérieur qui animait jadis ses gestes. Sa main sait encore sculpter, mais son énergie créatrice s’est tarie et chaque planche empilée dans son atelier semble lui rappeler ce qu’il ne transmettra plus. La jeune violoncelliste Angline entre dans ce paysage figé comme une dissonance fragile. Elle aussi a vu ce qui faisait sa vie lui échapper lorsqu’un accident a brisé ses espoirs de carrière musicale. Sa rencontre avec Paul, faite de maladresses et de silences, donne au roman sa fibre intime : deux solitudes cabossées qui, sans le dire, s’apprivoisent peu à peu, s’aident à retrouver leur propre voix, et peut-être, à transmettre ce qui ne devait pas mourir. 
Le récit avance sans fracas, porté par une tension discrète, juste assez pour soutenir une intrigue ténue. Car cette histoire n’est qu’un prétexte, une trame légère tendue pour accueillir autre chose : une méditation sur le temps qui passe, la beauté des gestes oubliés et la disparition silencieuse d’un monde artisanal. Derrière Paul, c’est Gilbert Bordes qui s’exprime – luthier lui-même, habité par l’amour du bois, du travail patient et du lien intime entre l’homme et la matière. Il insuffle à son personnage ses propres inquiétudes : l’attachement à un métier menacé, la fidélité à un savoir-faire sans relève, et en filigrane, la conscience douloureuse qu’un monde s’efface, lentement, sous les coups de la modernité. C’est tout un univers de gestes et de transmissions invisibles que le roman tente de retenir avant qu’il ne s’effondre. Sous la douceur contemplative du ton affleure une critique nette : opposant la campagne à la ville, les mains calleuses aux mains lisses, le bois vivant aux objets standardisés, il célèbre la lenteur, la matière et le silence des ateliers en une ferme résistance à une époque pressée, oublieuse de la nature et des gestes essentiels. 
Certes, la trame reste prévisible, les personnages parfois archétypaux et le symbolisme autour des arbres un peu appuyé. L’écriture elle-même n’échappe pas à une certaine emphase, la passion emportant volontiers l’auteur dans de grands élans lyriques. Mais cette ferveur, même marquée, dit une sincérité profonde. Ce roman est un chant d’amour, à l’art de la lutherie, trait d’union entre la matière et la musique, mais aussi, plus largement, à l’harmonie fragile entre l’homme et la nature. Dans un monde saturé de vitesse et de bruit, le récit invite à ralentir et rappelle que la beauté ne réside pas dans la perfection, plutôt dans l’attention et la fidélité aux choses, dans le bois qui respire, la main qui hésite ou le souffle avant la première note. 
Au final, ces pages défendent une idée simple et précieuse : que ce qui est lent, discret, transmis de main en main, mérite d’être sauvé. Et que parfois, il suffit d’un regard, d’un geste, ou d’un instrument accordé à nouveau, pour que le monde recommence à chanter.
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