Regarde.


Je m’enfonce doucement dans le marécage, j’arrose mes remugles, mes cachetons, de rasades de whisky écossais.


Regarde ! Je le tète au goulot. Comme le sein de ma mère.


Contemple le naufrage.


Il me faut du lourd pour clore mes yeux fatigués.
Des maux qui roulent dans ma gorge comme le feu du breuvage d’ambre frelaté qui soigne ma carence en joie de vivre.
L’ulcère fratricide.


L’humidité me fait pourrir sur pieds, les échardes plantées sous le derme des paumes de mes mains, j’entends les éclats de voix qui sourdent pour se moquer de moi.
Si je suis un arbre, s’il te plaît, il faut m’abattre.
Et faire des allumettes avec les bouts de moi.


J’ai mal aux tripes de n’être rien et, ce n’est pas grave, tout le monde s’en fout, il n’y a pas mort d’homme. Suis-je seulement un homme ?
Le temps s’écoule si lentement que je soupèse la moindre seconde qui passe. Si j’étais un souple, un peu gymnaste, je me roulerais en boule.


Oh mon ami, regarde comme j’ai mal. Délecte-toi, tu gagnes ton pari.
La tête qui tangue d’avoir trop picolé, le cœur lourd, j’ai l’œil rivé sur l’étendue du désastre. Ne pas en perdre une miette.
Ainsi font font font les has-been avant d’avoir été, mes fondations rongées par la rivière, frère.


Le majeur et l’index jaunis par mes Camel, oranges presque. Le souffle court, le pachyderme se répand sur le flanc.
Y’a des bouquins qui te bouffent tout cru, des bandits de grand chemin anthropophages qui, page après page, t’enserrent dans la nasse. J’ai rongé mes ongles jusqu’à bouffer mes doigts. Après, comment aller bien face à ta propre transparence ?


Regarde.


C’est pas du folklore, la mort pue de la gueule comme un soûlard patenté mais, elle, elle t’enlace, au moins. Elle te cajole, presque.
C’est pas la vie, cette pute, qui ne ménage pas ceux qui peinent. La vie n’embrasse pas.
À quoi ça sert d’avoir du coeur si c’est pour en crever ? C’est pas palpitant.


Les doigts dans la bouche, le goût de nicotine. D’où vient le vent ce matin ?


Si j’avais pas si peur d’avoir encore plus mal, et un soupçon de couilles, je me jetterais dans le vide, voir si je flotte. Voir si les vents m’emmènent contre ta peau, une dernière fois.


Des cascades de larmes de sang, amères, métalliques, sur mon visage à la con. Elles donnent bonne mine à ma gueule d’ordure certifiée.
Ma peine, cette péninsule devenue continent, me bouffe, me dévore. Je me laisse faire, je suis une lopette.


Tu sais.


Avant, j’avais pas de marécage dans ma tête.
Avant, j’étais danseur. Élégant, fier, toujours dans le tempo, arrogant.
Et toi, toi…Ken...
T’as tout fait valser. Mes rêves les plus flous, émiettés.
L’impression tenace que je vais dégobiller, repeindre les murs.
Et mes pieds de ciment.


Regarde.


Je divague, je surfe sur mon amertume. Le roulis, les tumultes.


Si j’étais une montagne, je serais aussi plat que mes peines.
Le paradis rance de l’auteur tourmenté, glisse le manteau, je préfère enfiler mon costume de désespoir.


Tu sais.


Je rêve de me rabibocher avec moi.

DjeeVanCleef
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le 3 janv. 2018

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