Un recueil de dix nouvelles dans lesquelles JCO décortique les bassesses humaines : jalousie, vengeance, cruauté, alcoolisme, drogue, convoitise… Les personnages ont tous un point commun : ils étouffent, cherchent de l’air, manquent de se noyer, cherchent à fuir par tous les moyens, quel qu’en soit le prix. Désespérément. Le lecteur est fréquemment mal à l’aise car fréquemment amené à éprouver de l’empathie pour le personnage torturé. Une JCO en verve pour un autre récit d’une noirceur infinie. Comme si la plèbe n’avait aucun moyen de se sortir de la fange des bas quartiers, rattrapée malgré elle par ses bas instincts. Que ce soit la boisson, la drogue ou le sexe, ses travers sont les plus forts et les condamnent irrémédiablement au chaos.
Je regrette les pavés de l’auteur. Ces nouvelles, courtes, sont quelque peu frustrantes : la plupart méritait un roman à part entière. Un recueil qui me laisse un peu sur ma faim.
Une lecture néanmoins de qualité dans laquelle on retrouve la marque de fabrique de JCO : l’analyse de la société américaine de l’ouest de l’état de New York, ses personnages déchirés, profondément marqués par la vie, sa manière de distiller les détails les uns après les autres sans chronologie (du moins pour les nouvelles les plus longues), son écriture magnifique… Et toujours la magie des petites phrases en italique.

1-Donnez-moi votre cœur. Nouvelle sous la forme d’une lettre, d’une femme à un homme, d’une amante à son premier amour perdu 23 ans auparavant. On pense d’abord qu’elle cherche à renouer le contact, puis a faire renaître un passé pourtant révolu. Mais bientôt le ton devient inquiétant, oppressant. Menaçant.

2-Cerveau/fendu. Une femme veille son mari hospitalisé. Chaque jour elle se rend à la clinique et demeure près de lui. Atmosphère lourde, mûrs nus, odeurs, maladie, silhouette jadis vigoureuse et devenue chétive. Déclin. Et cette femme rentrée à l’improviste à une heure où elle devrait être absente et qui sent dans son intérieur une présence hostile qui n’a rien à faire là.

3-Le premier mari. Par hasard, un homme découvre dans les affaires de sa femme des polaroïds de sont premier mari. Pourquoi les garde-t-elle ? Pense-t-elle toujours à lui ? Depuis quand lui ment-elle ? Et pourquoi ? L’homme cogite seul dans son coin, observe sa femme du coin de l’œil, cherche à la confondre (discrètement). Madame devient une adversaire détentrice d’un secret à percer. Où l’anodin prend artificiellement des proportions gigantesques, démesurée.

4-Strip poker. La narratrice est une ado de quatorze ans. Un peu rebelle : conflit de génération. En vacances au bord d’un lac, dans le bungalow de tonton. Quand sa mère lui fait remarquer qu’il est l’heure de rentrer, elle rechigne : pas maintenant, trop tôt, plus un bébé tout de même ! Au contraire, elle choisit de suivre quatre garçons bien plus âgés (25 ans) dans une partie de poker. La bière coule à flot et elle est rapidement ivre. Et quand elle eut perdu son dernier dollar (qu’on lui avait gentiment prêté), on a commencé à lui réclamer un vêtement en paiement de ce qu’elle devait…

5-Etouffements. Une femme est sujette à des cauchemars dans lesquels elle voit un bébé de deux ans, mort étouffé et abandonné dans un parc urbain. Réminiscence d’un fait divers sordide, d’un traumatisme personnel datant de son enfance ? Subitement, elle accuse ses parents de meurtre. Interrogatoire, contre interrogatoire. Qui a raison ?

6-Tétanos. Un jeune garçon de onze ans. Ultra violent. Défoncé à la colle. Garde à vue. Interrogatoire éprouvant.

7-La chute. Une jeune épouse arrive dans une famille respectée. Un veuf, deux grands enfants, une ferme. Et bientôt un neveu « attardé » rejeté par sa mère et confié aux bons soins de son oncle et sa tante. Quatre grossesses, le ménage, les repas, les courses, les enfants, l’exploitation familiale… Et toujours ce neveux devenu adulte. Gentil, dévoué. Mais un peu inquiétant tout de même avec ses regards…

8-Nulle part. Une jeune fille de 15 ans se retrouve dans un bar en soirée. Elle traine avec des garçons beaucoup plus âgés qu’elle. Alcool, drogue, musique assourdissante. Ambiance abrutissante durant laquelle l’auteur revient sur le passé trouble de la famille : frères ayant fui le domicile parental, l’aîné servant sous les drapeaux en Irak, père emprisonné pour coups et blessures, mère adultère…

9-Sang. Un ado, marqué par une ou deux affaires sordides qui se sont déroulées dans son entourage (violence sur mineurs). Il n’a bien sûr rien à voir avec ces crimes, c’est un élève brillant, promis à de belles études universitaires. Un gars sérieux. Quand, à l’âge de 23 ans, il remarque une fillette errant en pleine nuit à peine vêtue…

10-Veine cave. Le caporal-chef (Dennie) rentre de la guerre. Complètement déglingué, rafistolé de partout, il réintègre à 27 ans un cercle familial qu’il ne reconnaît pas, qu’il n’aime plus et auquel il n’est plus adapté. Il reste militaire (les siens sont qualifiés de « civils »). Il rentre paranoïaque, fait des cauchemars, est persuadé que son fils n’est pas le sien, ne se souvient pas d’avoir épousé cette femme-ci (mais une autre). Déficient visuel. Déficience auditif. Prisonnier dans un corps atrophié. Prisonnier dans un monde qui n’est plus le sien.
BibliOrnitho
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le 7 nov. 2012

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