Je voulais mettre Belfast and furious mais on m'a devancée, mais c'est le meilleur titre quand même.

Alors là, ALORS LA!


Honnêtement, j'avais pas été soufflée à ce point depuis la page 113 du Sukkwan Island de David Vann (ceux qui savent savent).


Et c'est pour ça là, quand un auteur parvient à une maîtrise parfaite de la construction de son roman, quand la forme et le fond se percutent et éclatent en pleine face du lecteur, c'est pour ça qu'on lit, c'est là qu'on se rappelle, grâce à des types comme Robert McLiam Wilson, pourquoi la littérature est indispensable, comment elle créé l'empathie et pourquoi on en redemande.


Je m'emballe un peu, mais en fait non, et j'aimerais vous expliquer comment, en un chapitre, Robert McLiam Wilson rompt son récit, et comment cette rupture, en entrant en résonance avec le fond, parvient à faire VIVRE le récit par le lecteur.


Mais je peux pas, au risque d'en dévoiler trop, alors croyez-moi sur parole, c'est du génie.


Chuckie Lurgan est gras, oisif et protestant.


Jake Johnson est beau, gentiment torturé et catholique.


La petite trentaine désœuvrée, les deux amis traînent les bars avec leur bande de copains pas plus avancés.


Ça ricane et ça chicane, ça parle de gonzesses autour de pintes de bières.


La vie somme toute, sauf qu'on est à Belfast, au début des années 90, cette ville à moitié en ruine où la vie continue de grouiller entre les cadavres.


Dans un article pour les Inrocks (indispensable et salutaire) publié peu après les attentats du Bataclan, Robert McLiam Wilson dit de Belfast qu'elle est " un trou, une micro-ville, marinade de haines ancestrales, comme une maladie chronique perpétuellement en semi-rémission. Le genre de saloperie avec laquelle on peut vivre mais qui peut aussi réapparaître n’importe quand."...


Comment vit-on dans une ville déchirée par les attentats depuis deux décennies? Et bien comme partout ailleurs, ou presque.


Entre stratégies d'évitement et banalisation, Robert McLiam Wilson raconte ces vies qui ressemblent aux nôtres.


Parce qu'en gros Chuckie et Jake, la politique, ils en ont à peu près rien à carrer. Toute leur vie qu'on les bassine avec des concepts qui n'ont même plus de sens pour ceux qui les manient.


C'est comme une routine, au fond c'est juste un exutoire à toutes les frustrations des plus décérébrés d'entre nous, ceux qui sont tellement persuadés d'avoir raison, ceux dont la haine, liée à la bêtise la plus crasse, privera toujours du moindre sens les actes meurtriers perpétrés au nom de ceci ou de cela.


Robert McLiam Wilson avec pragmatisme et une plume acide mais drôle, tellement drôle, tire à boulets rouges sur l’affligeante bêtise des hommes avec leurs petites convictions médiocres.


L'auteur n'épargne pas non plus la bien pensante élite et ses bonnes leçons bourgeoises:


"Elle manifestait la foi inébranlable de la fanatique bourgeoise, et ça lui allait comme un gant. Personne n'allait venir chier dans son nid. J'ai envié les gens cultivés qui s’enthousiasmaient pour les révolutionnaires (...)C'était sans doute très amusant tant qu'on ne risquait pas sa peau."


Eureka Street est un récit de vie plein de fougue, d'amour et de rage.


C'est férocement intelligent, ça fait un bien fou.


Un manifeste contre la bêtise dont l'auteur sait pourtant, comme il l'a rappelé dans cet autre article, publié cette fois dans Libération, que toute la rage du monde, même ingouvernable, n'empêchera pas le salauds d'être des connards.

Chatlala
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le 1 mars 2019

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Chatlala

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