Exit le fantôme
6.8
Exit le fantôme

livre de Philip Roth (2007)

Zuckermann revient. A la ville. A la ville : New-York.

Onze ans qu’il n’y est pas retourné, nous dit-il. « Onze » ? Ce chiffre qu’il aurait pu arrondir à une décennie interpelle déjà par sa précision… Aurait-il compté les jours, les semaines et les mois durant sa retraite en ermite dans sa maison de campagne entourée d’arbres, de lacs et d’animaux, loin des bruits de la cité, de la politique, des actualités et de tout ce qui pouvait l’empêcher de vivre dans son monde, par choix ?

« Onze ans »… Un peu plus d’une décennie et le voilà de retour dans la ville de son insolente jeunesse, qu’il retrouve là en homme vieilli, victime des affres du grand âge, victime de sa prostate, incontinent, à la merci de sa vessie devenue capricieuse, elle qui l’oblige désormais à se munir de caleçons-couches…

Zuckermann revient. Mais sait-il pourquoi ? Pour voir son médecin ? Pour faire renaître chez lui un espoir qu’il espère New York capable de lui rendre ? L’espoir de ne pas vieillir ? Retrouver sa jeunesse ? De rencontres hasardeuses en « moments irréfléchis », Zuckermann, qui ne devait être que de passage, va s’éterniser plus qu’il ne l’aurait pensé dans la grande ville, jusqu’à ne plus savoir vraiment ce qu’il y fait.

D’instants de folie en prises de décisions déraisonnables il va s’engager, auprès d’une vieille connaissance d’abord, à défendre contre un jeune biographe sans scrupules la mémoire de son écrivain de mari défunt, dont le talent tombé dans l’oubli collectif mériterait mieux -en guise d’hommage- que la révélation d’un scandale. Zuckermann va s’engager, ensuite, à échanger avec un jeune couple sa maison de campagne contre leur appartement new-yorkais, pour une durée de un an. Il va s’engager, croire l’espace de quelques jours qu’il peut redevenir celui qu’il était, échapper à la décrépitude physique et mentale pour ne s’apercevoir que du contraire : qu’il est bel et bien vieux et dépassé.

Il n’est qu’un « déjà plus » contre des « pas encore », les gens plus jeunes, les Jamie Logan, dont le désir sexuel qu’elle réveille chez lui ne lui rappelle que son impuissance, les Richard Kliman, le jeune biographe plein d’une fougue que Zuckermann ne supporte pas, mais dans laquelle il retrouve un peu de la sienne au même âge. La « vigueur » à laquelle il se heurte lui sera plus « source de douleur » que bain de jouvence…

Zuckermann revient puis repart, comme il était venu ou presque, débarrassé au moins de ses illusions, certain pour de bon, dans sa couche molle et puante, que la « seule assise solide » qu’il lui reste -élixir et refuge entre tous- sont les histoires qu'il se raconte.


JeanRumine
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs livres de Philip Roth

Créée

le 11 oct. 2024

Critique lue 23 fois

1 j'aime

1 commentaire

JeanRumine

Écrit par

Critique lue 23 fois

1
1

D'autres avis sur Exit le fantôme

Exit le fantôme
domguyane
7

courage, fuyons !

Garde-t-on un droit posthume à son image après sa mort ? Il a fui New York sous les menaces de mort, a perdu puissance et continence en même temps que la prostate. Il est un auteur reconnu, mais...

le 22 oct. 2011

3 j'aime

1

Exit le fantôme
Eric-BBYoda
7

Accablant et pourtant fascinant !

Lire cet "Exit le Fantôme" (traduction ridicule du titre original, "Exit Ghost", mais bon...) n'est pas vraiment une partie de plaisir : voilà Philip Roth - écrivain "puissant", voire visionnaire,...

le 15 sept. 2014

2 j'aime

Exit le fantôme
JeanRumine
8

L'homme qui porte des couches

Zuckermann revient. A la ville. A la ville : New-York. Onze ans qu’il n’y est pas retourné, nous dit-il. « Onze » ? Ce chiffre qu’il aurait pu arrondir à une décennie interpelle déjà par sa...

le 11 oct. 2024

1 j'aime

1

Du même critique

L'Usage du monde
JeanRumine
8

Partir et vivre

De Belgrade à la frontière de l’Inde, le récit de voyage de deux amis suisses à peine sortis de leurs études de journalisme et de peinture, partis pour un périple de deux ans avec quatre mois de sous...

le 21 mars 2024

2 j'aime

Pierre, ou les Ambiguïtés
JeanRumine
9

Pierre, ou Le Fou

Ceux qui ne le connaissaient pas diront qu’il était fou, quand ceux qui ont pu le connaître objecteront qu’il avait trop grand cœur. Pour les premiers, il restera celui qui avait tout et qui a tout...

le 12 sept. 2025

1 j'aime

Pêcheur d'Islande
JeanRumine
8

Femme de Bretagne

Islande et Chine ont en commun Ploubazlanec. L’Islande, c’est Yann, la Chine c’est Sylvestre, et à Ploubazlanec ils ont leur femme, leur grand’mère, leurs chansons et leurs danses. A Ploubazlanec ils...

le 8 juil. 2025

1 j'aime