Joyeux Noël.Chatons élevès pour viande.Western contemporain&catastrophe.Chute Libre.Coco


«J’ai fait ce que j’ai pu »



« Ce n’est pas le bruit qui te réveille à Port-au-Prince, c’est le silence » (p20)



Odéric Delachenal a été bénévole à Haïti et nous raconte ici ses souvenirs. Ce n'est pas ennuyeux et très très honnête. Sans fard. Il ne s'épargne pas du tout. J'ai enfin cru comprendre que le titre Fissuré s'adressait aussi à lui et au pays...


Un des témoignages récents qui a eu le plus de force pour moi, m’a fait vivre une expérience sur une actualité que je croyais connaître et où j’ai eu le plus de ressentis variés. Et de surprises. Je l’ai trouvé plus honnête et sincère que d’autres.


Témoignage d’une honnêteté si rare. Souvent crue. J’ai ri, souri et même littéralement pleuré. L’auteur ne cache rien, ne se cache pas. Il ne sort même vraiment pas toujours grandi.
Une immersion dans un sujet que je croyais connaître, Haïti.
Un embarquement en caméra POV qui finit par un très très habile parallèle avec la France et des ‘Haïtis’ cachés.
Un compte rendu de première-main d’un passionné, quasi littéralement mangé par sa passion, face à un cataclysme et les conséquences physiques et morales sur lui.


Et un très bel hommage aussi à ses parents et amis : le filet de sécurité que représentent sa famille et ses amis. Même dans leur maladresse. Surtout celle du papa. On sent que ses années en Haïti puis ses différents emplois comme aidants, ne sont pas juste une passade, phase ou une construction de cv : ce n’est pas une panoplie ou lubie ou stage obligatoire d'Ecole...il s’est donné corps et âme et en a payé le prix.


Un livre aussi sur la faim en France. Un livre auquel je pense encore des semaines après.


Livre adoré et dévoré mais qui commence par des formulations en apparence maladroites que l’éditeur aurait dû peut-être changer (ou pas? car peut-être une question de perception):
il est vrai que la suite du livre rassure et annihile toutes les mini craintes causées par une formule peut-être maladroite. Mais nous vivons des temps tellement salis qu’ils en affectent peut-être la perception et salissent aussi des expressions bien innocentes. Heureusement, ces adjectifs n’ont pas stoppé ma lecture :



_ « deux grosses femmes » p14
_
« Chaque enfant se lave dans une bassine (…) Ceux qui ont terminé viennent se coller à moi, leurs petits culs encore trempés. Ils veulent que je reste dormir avec eux » p16
(Puis il s’étonne plus tard que des gens locaux les soupçonnent de « kidnapper nos enfants pour les violer » (p24)...)
___De la même manière que des hommes politiques et écrivains utilisent trop à tort et à travers les mots ‘autistes&schizophrènes’ souvent comme adjectif, l’auteur ici parle maladroitement de paysages « semblant sortir de chimio » (p34) (seul petit reproche que je ferais sur la forme)



J’aime ses autres allusions souvent à la pop culture et des comparaisons à des films déciminées dans le livre: Totoro ; Gremlins, Hergé, Harry Potter, Roger Rabbit, Matrix, La Classe Américaine, Truman Show, La Haine, Calmos, La Cité de la peur etc.


J'aime quand ce Odéric Delachenal mentionne parfois sa communion avec la nature, et son sentiment de lui appartenir et pas juste la traverser ou la fouler:



« (…) je me sens présent dans ce monde. Chacune de mes journées est si belle, riche, que la nuit je sanglote en rêve. Je ne pleure pas de tristesse, ni de joie, je pleure de beauté. Je me sens soulevé par la grâce, touché au plus profond par la beauté de la vie ». (p17)



Grâce à ses amis locaux et sa sincérité, il aura un rare accès exclusif dans les zones où habitent les familles de ses enfants: c'est mémorable et me rappelle un peu le film 'La Cité de Dieu', différent pays, même pauvreté.
Il y est un ovni.
Il demandera plus tard des nouvelles du joli « chaton blanc aux yeux bleus » à qui ses hôtes n'avaient pas encore "donné de nom", et pour cause, il a alors déjà été "mangé depuis longtemps" (p22)...et c'est lui qui sera traité de "bizarre avec ses questions sur les animaux".
Les enfants se baignent dans des eaux « verdâtres » (p25)


J’adore quand il découvre que les bus bondés, sans respect de normes, transportant animaux…se transforment parfois en messe ambulante ! Comme bon lecteur occidental prenant le métro, quand l’auteur commence à parler d’un passager de devant se levant, je me suis dit que ce serait pour faire la manche, non, c’est un haïtien qui invite à la prière et au chant…c’est pourtant un bus public de gens qui ne se connaissaient pas tous. Il optimise le trajet. La messe n’est donc pas nécessairement le dimanche à 10h30 ? ;-) (p33)
Puis ça devient hélas une scène de western, avec leur habituel faux docteur ambulant : le bon prêcheur se mettant à vendre un potion magique
Haïti n’est d’ailleurs pas tant éloigné que cela du temps des westerns.
Deux pages plus loin, après que le docteur ambulant dans le bus me fasse penser à mes Lucky Luke, l’auteur arrive dans un bourg avec Shérif « dormant dans un rocking-chair », il dit « une vraie bédé de Lucky Luke » (p35).

J'ai alors fait alors ami-ami avec l’auteur à partir de ce point: ses montagnes russes émotionnelles me toucheront comme celles d’un ami. (je suis ridicule, je sais...)


Au sujet de ces bus, j’ai été touché par son détail mentionné juste en passant que même extra bondés, ils se poussent pour te laisser une place, même si qu’une demi fesse…quiconque a pris le tram à Nice, ou Lyon ou Paris sait que même des biens portants ne se poussent pas, même pour vous laisser accéder aux machine à composter que leurs gros culs de nantis camouflent…



(Grimper dans un bus bondé) « mais les passagers parviennent encore à se presser pour te laisser passer : ‘monte chérie’ » p53



Quand la terre tremblera, l’auteur ne s’en rend peut-être pas compte, mais plus tard, il va décrire des scènes de tremblement de terre, comme si tous se retrouvaient dans un bus bondé géant:



« Alors, on s’est tous arrimés les uns aux autres » p54



Avant le tremblement de terre, même les foyers "d’accueil" et de secours n’ont pas l’eau courante, de l’électricité et surtout les budgets promis pour payer les employés ou aider les bénévoles…et cela AVANT le nouveau séisme.
**Pas de ventilo. Et une invasion de moustiques. Et ce sont les foyers d’accueil.


Aucune veilleuse dans les couloirs (au contraire des normes UE tant moquées et décriées ingratement en Angleterre ou en France…) : une des premières urgences du témoignage avant le séisme est un enfant se coupant profondément à une boite de conserve ouverte. Il ne l’a pas vue dans le noir.**



C’est l’UNICEF qui ne leur aurait pas versé les fonds promis (p29) ???????????????????????????




…mais se gave lors de réunions dans hôtel luxueux local devant buffets gargantuesques avec:




« de la bouffe à profusion »



Cette scène de gabegie alimentaire me rappelle les déchets et gaspillages de nourriture que découvre Tom Hanks dans 'Seul au monde', au retour à la civilisation après son naufrage sur île déserte et sa lutte pour un seul crabe…
Avec leurs faims quasi constantes, Odéric Delachenal et ses petits enfants, font penser à des Robinsons Crusoé affamés en plein centre-ville.



« Je bouillais intérieurement » p30
Ce bénévole me fait penser à un gilet jaune (un des sincères) mais de l’internationale.
Mais aussi parfois à Michael Douglas dans 'Chute Libre'...
Et c’est navrant, mais aussi émouvant de voir que, comme pour le Commissaire Patrick Visser-Bourdon et comme pour
'l’infirmière Célia' de Mademoiselle Caroline, en période de covid,
ce sont d’autres aidants ou d’autres pauvres qui vont aider et faire des dons
(ici, ce sont des casques bleus Brésiliens qui font dons de leurs surplus ; p30).



L’anniversaire de l’enfant réuni à sa famille et maman qu’il n’a pas vue depuis un an est très émouvant même s’il donnera du grain à moudre au pire raciste anti humaniste puisque ce bénéficiaire d’aides est « plus vieux que ce qu’il prétendait, n’est pas malade, avait fugué et n’est pas orphelin de père » (p37)
Ça n’empêchera pas tout le monde de se coller pour se tenir chaud lors du voyage retour.


Une scène géniale même si funeste, muette, digne d’un film d’Eliea Suleiman se passe sur un balcon façon aussi 'Fenêtre sur cours' d'Hitchcock : comme James Stewart, les 3 garçons sont confinés dans leur chambre et certainement pas autorisés à dormir dans la maison des filles, suffocants de chaleur et sans doute de …'chaleur',
ils dorment à même le carrelage sur la terrasse ouverte au ciel étoilé…
parlent, s’amusent…
mais l’auteur remarque par une fenêtre ouverte dans la maison opposée une personne alitée entourée d’aidants allant et venant…il n’en voit que l’ombre et la silhouette :



_ « Sur notre balcon, on discutait, on racontait des histoires drôles avant de s’assoupir. Une heure peut-être s’est écoulée ainsi, quand l’ombre réapparut dans la chambre. (…) la silhouette, bras au ciel, poussa un long hurlement (…) le cri le plus déchirant de ma vie (…)
La mort était passée là, sous nos nez… La mort est partout en Haïti. » p39



Comme dans un Victor Hugo où les coïncidences sont aussi nombreuses, il y a un passage très étonnant sur les coïncidences des rencontres et comment le monde "est-fameusement-petit".
Ici, Odéric Delachenal ne le souligne pas mais je trouve dément et d’une belle coïncidence ou signe de dieu, que lorsqu’il fait face à « un garçon qui se gratte sans arrêt » dans un hôpital. Il s’avère, lui, avoir dans son sac parmi tous les numéros de l’épatant fleuron de la littérature jeunesse, J’aime lire,
justement un numéro sur « un mouton qui a des boutons » et se gratte (p41)!
Je précise que le livre est publié par les Editions-Metailie
qui n'ont aucun lien je crois avec les éditions Bayard publiant J’aime lire; donc c'est assez classe et éthique de la part de l’éditeur d'avoir laissé cette anecdote et scène.


**


Cet enfant lourdement handicapé par un accident de voiture a sauvé un autre enfant en retenant le mieux qu’il pouvait un portail lui tombant dessus mais se faisant écrasé lui-même, d’où sa présence à l’hôpital. Ce véritable mini Jean Valjean contemporain m’a fait pleurer (Valjean, lui, ne se blessât pas en soulevant la charrette). (p40)
La description de l’enfant et sa condition horrible, muet voisin de chambre, est un film d’horreur, un film de zombie (p41).




**


Les scènes au cimetière sont quant à elles font penser à Coco, le dessin animé de Pixar sur les morts, les dialogues avec eux etc.

Chaque cimetière en Haïti « possède sa Grande Brigitte et son Baron » (p45)
(Comme nous en France à l’Elysée…^^)



« …visage grimé de blanc percé de longues épingles à nourrice, tel un punk londonien » p48
Ces scènes au cimetière, en plus de films, me font penser à la Danse macabre sur les murs du Puy en Velay. Ce n’est pas plus bête ou bizarre.



Ils sont « les gens, les humains, les plus croyants que je n’ai jamais rencontrés » (p50)
« Ils chantent leur foi en Dieu, à l’unisson, l’espoir, la gratitude. C’est si intense »



Après le tremblement de terre, j’aime quand il admet et dit de manière maladroite mais honnête qu’il a « toujours été fasciné par les ruines, les ravages des vieilles demeures abandonnées (…) Je suis excité » (p56)
Ce qui pourrait lui être reproché, comme d’ailleurs, au sujet de la femme venant d’accoucher dans les décombres : « Comment va-t-elle appeler son enfant ? » Moi, comme adepte de 'Call the midwife', je m’demandais plutôt comment va-t-elle le nourrir ?


En autre mot malheureux ou ouvert au débat est la manière dont il décrit une maman en pleurs : « Une femme pleure, de cette façon démonstrative des Haïtiennes. Elle hurle plus qu’elle ne pleure » (p81)
Comment sait-il que c’est sa manière de pleurer qui est démonstrative ?
Pourquoi ce ne serait-ce pas plutôt nos manières feutrées de pleurer qui seraient anormales et « autistes » (sic)? …notre honte à pleurer fort en public ne serait-elle pas le fruit d’un endoctrinement et pression dans une société de la honte, surtout dans l’éducation des garçons au sujet des pleurs ?

D’autant que la traduction (p139) de ce qu’elle dit est renversante,
et déchirante juste à lire dans mes pantoufles heureuses,
alors, ça doit être encore pire à vivre en direct!
A sa naissance, ce deuil a dû être un sacré fort big bang très violent: si ce texte n’en est que le lointain éclairage. Car ce texte est lui-même explosif et émouvant.
D'autant que ce deuil dont il conteste au début la forme 'démonstrative' est celui dont sa propre famille aurait pu être victime puisque un de ses doubles, un autre aidant et de son âge est mort, jamais retrouvé, et un autre a été cassé sur place, lui, sera cassé plus tard.
Alors pourquoi juger ou adjectiver le deuil de cette femme avec notre prisme ? Son deuil et pleurs ne sont peut-être pas si ‘démonstratifs ‘?


J’aime comme à l’instar de Mgr Dupuy au Chapelet de Lourdes, Odéric rappelle que Dieu ne punit pas les humains par un séisme, sauf que ses mots jureraient un peu en direct sur KTO :



« Je leur ferais bouffer leurs bibles. On entasse de tels paquets de merde dans les cervelles des gens. Cette catastrophe est pain bénit pour les prophètes de la dernière heure. Légions en Haïti. Ça me fout la gerbe. Prêcher la culpabilité dans un pareil moment me révulse. Si le séisme est une punition divine pour leur impiété, le reste du monde a bien du mouron à se faire ! » (p59)



La solidarité des miséreux dans la misère renverse le cœur (p62).


L’épreuve réconcilie des familles : il « est fou de joie de retrouver sa mère et son frère. Lui qui ne cessait de se plaindre d’une mère qui ne l’aimait pas… » (p67)


L’épreuve nous rappelle et réveille à notre statut et vie : « C’est à ce moment-là, je crois, que j’ai pris conscience que j’étais vivant, que j’avais survécu à un cataclysme ».


Son retour en France est tout simplement inoubliable, je n’avais pas vu venir sa chute, son stress post traumatique, sa dépression etc.
Le John Rambo de la guerre contre la faim et la misère?
Saoulé par les souvenirs et horreurs, les pages 96 à 101 sont un film ou un texte que des élèves de théâtre pourraient jouer.
Il rappelle le long monologue d’Edward Norton dans '24 heures' de Spike Lee ou le pétage de plombs de Michael Douglas dans 'Chute Libre'.
Il ne sort pas grandi de cette confession si honnête, franche, directe.


Je croyais qu’il ne pourrait pas aller plus loin dans la confession mais ses révélations sur son métier en France sont encore plus Envoyé Spécial ou Complément d’enquête tant son témoignage est en pleine actualités :



il a été « évaluateur et a fait le tri entre ‘vrais’ et ‘faux’ mineurs, trier les humains comme des déchets » …
Videur de la boite de nuit ‘France’ ? ou « physionomiste de la protection de l’enfance » comme il dit mieux.



**



Le passage chef d’œuvre du livre étant la description de Paris: un tableau de Bosch, mini Haïti à Paris. La faim et la drogue zombifiant des enfants. (p112)



**


Livre très malin et informatif qui révèle et change la perception de nos rues.
Je ne pourrais pas écrire sur son sentiment de culpabilité à la fin, la honte de sa honte, sa déchéance physique et social et de personnalité, son rebond et sa tristesse



«J’ai fait ce que j’ai pu »
...si tous les hommes politiques ou managers ou employés ou fils envers leur mère ou chacun et tout le monde avaient cela comme devise ou principe de vie, on s’en sortirait mieux, et moi aussi.


PierreAmo

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