Entre Stirner et Nietzsche (en passant par Marx, oui oui)

Ce bouquin peut être vu comme un ensemble de commentaires de l'œuvre de Stirner, par un non-spécialiste, mais il est claire que la démarche et le résultat est plutôt honnête, en le sens qu'il se positionne lui en tant que personne qui donne une lecture et il est par ailleurs critique autant à l'égard de Stirner que des stirneriens sans être de mauvaise foi pour autant.

Le livre pourrait se résumer en grande partie à la confrontation entre la notion de dépassement (aufhebung) notion proprement hégélien et de franchissement (überwindung) notion tiré de Nietzsche. Les deux notions renvoient à la philosophie du devenir et l'articulation de ses deux notions ici à un intérêt qui est de penser ce que serait ou devrait être l'anarcho-individualisme ou l'anarcho-nihilisme (mais ça peut aussi porter le nom de "ego-communisme" ou "marxisme-stirnerien").

Ce qui me plait avec ce bouquin c'est qu'au travers de la notion d'überwindung il éloigne un grand lieu commun qui diviserait individualisme et communisme (le mot de "communisme" est employé par l'auteur, pas une déformation de ma part) très justement se débarrassant de ce qu'il considère comme une limite chez Stirner à savoir la notion du dépassement qui est calqué sur la triadique hégélienne pour penser le devenir.

Il critique l'idée de dépassement car il est sceptique quant à l'idée de pouvoir détruire des chimères du passé, les "fausses idées" dont parle Stirner telle que "Dieu", "l'homme", "la vérité" la "liberté" et bien d'autre chose, en les croisant à ce que Stirner nomme des "vrais idées", tel que le "moi", le "rien", la "propriété", "l'auto-libération" ... le dépassement résident dans l'idée que les oppositions s'entrecroisent, se synthétise et ça c'est plutôt inconscient. Alors qu'au départ l'idée de dépassement que pourrait désirer un Stirner c'est justement de s'affranchir de ces "idées fausses", c'est là où intervient l'idée de franchissement nietzschéene qui part du principe que l'on ne peut devenir autre chose que ce que l'on est déjà et qu'il est impossible de transformer le monde "petit à petit" (une idée du texte) et que si l'on pense détruire certaine chimère du passé, on ne peut que trop facilement les recopier à l'identique, l'idée étant qu'elle reste en nous et qu'elle sommeil quelque part, devenir assez ironiquement ce que l'on a tant exécrer (des donneurs de morales par exemple, c'est ce qui s'articule dans l'idée de "vérité" ou de "Dieu"). La radicalité qu'apporte l'idée de franchement c'est que le devenir n'est pas penser comme l'abandon de chose que l'on juge dépassé mais par le fait d'emporter avec soi ces choses là, une manière en somme de ne pas tourner le dos à ce que l'on veut "dépassé". L'Autre aspect plutôt nietzschéen qui s'incorpore dans sa lecture de Stirner est l'idée que dans le devenir, il y aurait de l'inconscient, le désir même le serait et l'inspiration véritable derrière aussi, que la pensée du devenir n'est possible qu'au travers de quoi on se laisse influencer auquel cas le monde autant que nous même se transforme - si ça peut paraître assez "pré-socratique" comme idée c'est aussi qu'il y a des renvoies à Parménide et à Héraclite.

C'est une petite idée de comment il articule sa pensée, là où ça arrive à démêler le lieu commun sur l'incompatibilité entre individualisme et communisme, c'est quand il met en avant un aspect de l'œuvre de Stirner qui est "l'union des égoïstes" (à un autre moment par ailleurs il pose la question de ce qu'est vraiment un égoïste et si même l'égoïste strinerien - l'Unique - arrive à l'être), ainsi qu'une réflexion sur la différence et le point commun, pour comprendre ce qui fait l'individu au final. Il est assez honnête sur le fait que ce qu'il aborde peut être vu comme un impensé chez Stirner, une contradiction ou en tout cas une autre limite qu'il se permet développer. Ce qui fait l'individu est très justement une question qui très justement pourrait être vu comme une discorde entre Marx et Stirner, mon avis est que quelque part il est fortement influencé par Marx et que sa lecture de celui-ci influe fortement sur sa lecture de Stirner. L'Individu selon Marx n'existe que dans la société et au travers des autres (et cette idée est présente aussi chez Hegel dans la Phénoménologie si je ne me trompe pas), mais là où la pensée de Marx cherche fortement à penser le monde et sa transformation, ce qui fait le côté strinerien est qu'il s'axe sur l'individu, mais non pas juste comme une partie de la société comme l'on diviserait le particulier et l'universelle. La démarche est intéressante justement car il s'agit de constater ou de souligner que la société est un ensemble d'individu et non de noyer l'individu dans la société, ce qui permet en somme de souligner autant la particularité de chacun, les altérités (qui doivent être prise comme telle) et en même temps ce qui réunis. Au travers de cette vision l'idée d'union d'égoïste prend un tout autre sens (ou plutôt il gagne un autre sens) puisqu'il n'est pas spécialement question de l'égoïste qui se veut indépendant de la société, qui aspire à la marge aveuglement, espérant le plus possible de s'éloigner du monde (mais pourquoi pas au fond) voyant des grands pan de la société comme des formes d'aliénation, mais plutôt de voir le communisme comme une lutte pour laquelle le moi de chaque individu a un intérêt et y voit une inspiration. La subtilité étant qu'il n'est pas de se donner tout entier à une lutte, comme bien des marxiste-léninistes font avec des révolutionnaires professionnels et ainsi de se perdre soi dans une lutte qui n'est plus forcément la notre, où la lutte devient une forme d'aliénation, mais juste de participer avec une certaine distance par intérêt à celle-ci car l'intérêt en question est commun (tout autant dans ce qu'une révolution génère de cathartique que "l'économie désirer" qui serait en "notre intérêt", mais à chaque fois il est question non pas de participer à une lutte qui n'est pas notre mais de faire sienne une lutte).

L'idée reste toujours que ce n'est pas intelligent de s'isoler ou de creuser la marge, pas plus que d'être un révolutionnaire métier au nom du communisme (il serait capable de mettre les deux positions dos à dos), du moins si l'on souhaite échapper à l'aliénation ou obtenir une certaine liberté. Une des idées que l'on trouve est que c'est justement pillant le monde ou en cherchant pleinement à en faire partie que l'on devient à proprement parler égoïste par intérêt, plus qu'en désertant (ce qui m'a amusé pendant la lecture c'est que je voyais un point commun avec certain anarcho-capitaliste en faveur d'une économie, ma foi ...).

Même si je développe un peu des aspects qui ne sont pas dans le livre, ce qui est plaisant c'est que au final ce qui relie l'individualisme et le communisme se fait au travers d'une critique de la pensée de Stirner et implicitement de la pensée de Marx.

Quelque part ce texte met mieux en avant la pensée de Stirner que bien d'autre qui sont soit les critiques virulent de sa pensée (Marx typiquement), soit ceux qui en font une éloge plutôt aveugle et idiote. Je n'ai placé dans ma critique que des éléments qui moi m'ont plus (et il y en a d'autre à l'évidence et je ne sais pas spécialement comment je pourrais développer l'ensemble des aspects qui me plaisent séparément sans que cela ne deviennent confus comme à mon habitude), mais je vous invite à le lire comme un texte qui vous permettrez d'aborder Stirner d'une autre manière.

EmilieDuTurfu
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le 4 janv. 2024

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