Un navigateur anglais en quête de découverte scientifique et de gloire (accessoirement) navigue dans l'Océan arctique vers le Pôle magnétique. Quelle n'est pas sa surprise de rencontrer, perdu sur un bout de banquise détaché, un homme émacié mais résolu à continuer vers le Nord. C'est Victor Frankenstein, qui va raconter à Walton, le navigateur en question, la façon dont il a atterri ici, et plus encore, le but poursuivi !

Il s'est en effet élancé à la poursuite de la créature monstrueuse que, dans un éclat de génie décomplexé, il a créée et animée de ses mains.

On ne peut pas dire que je spoile beaucoup, il suffit de lire le 4e de couverture ou avoir déjà entendu parler de Frankenstein pour en savoir autant. Je n'irai guère plus loin.

Précision importante : avant cette lecture, j'avais entendu parler de Frankenstein, et dans mon ignorance passée, je m'imaginais que c'était la créature que l'on nommait Frankenstein (ou du moins qu'elle et son créateur auraient partagé ce nom du fait de la filiation). Pas du tout ! Le monstre est nommé "créature" ou "démon". Et là, déjà quelque chose de révélateur.

Victor Frankenstein, c'est l'enfant gâté et surdoué par excellence, qui va faire une bêtise énorme et ensuite passer le reste du bouquin à se dédouanner sur sa créature. C'est très énervant de voir une telle lâcheté. Attention, je ne dis pas qu'en ce qui me concerne, après m'être pris pour Dieu et avoir assemblé des petits bouts de cadavres pour ensuite leur donner la vie, je n'aurais pas eu la même réaction que ce brave Frankenstein, à savoir l'horreur, le dégoût, le déni. Mais tout de même, c'est rageant de voir qu'il ne va pas jusqu'au bout de sa logique : tant qu'à créer un être vivvant de ses propres mains - certes difforme - pourquoi ne pas s'en occuper ? Pourquoi, une fois qu'on a abandonné ce monstre dans la nature et qu'on refuse même de le nommer (donner un nom aux choses, c'est leur reconnaître une existence propre), s'étonne-t-on encore qu'il nous haïsse ? Mais bon, il faut bien que ce "héros" (?) ait des faiblesses pour que le drame soit possible, sinon autant regarder les Télétubbies.

Tout dans ce récit tend à prouver que l'être humain n'est pas Dieu, tout simplement.
A mon avis, ce doit être ce que Mary Shelley a voulu dire dans ce récité réalisé pour meubler les longues soirées d'hiver en Suisse avec son mari et Lord Byron (le poète). Les bons vieux récits de spectre et autres horreurs au coin du feu, ça existe déjà en 1817, la preuve ! Pour cela, l'idée d'un homme qui contrecarre les lois de la nature juste pour satisfaire sa curiosité, c'est original, il faut l'avouer.

Une accumulation de meurtres, de la malignité (dark-evil) à gogo, il y a de quoi divertir l'amateur d'épouvante. Cela dit, ça se traduit souvent par beaucoup (trop) de place accordée au pathos (du blah-blah moral en somme où chacun s'accable et fait concurrence avec l'autre pour avoir le privilège d'être "le plus malheureux"). Alors certes, il y a des moments d'action où on ne s'ennuie pas, et j'ai lu quasiment d'un trait les 300 pages (j'ai pris mes pauses syndicales évidemment). Mais j'avoue avoir parfois lu en diagonal certains paragraphes trop axés sur la description des sentiments, un peu redondants.

Le fantastique survient au moment de la création du monstre. Comment a-t-il fait pour le créer ? Le doute planera pour toujours, c'est toute l'essence du fantastique que de masquer la façon dont l'impossible se réalise. Ah, et puis les exploits physiques du monstre, dus à sa constitution impie, laissent songeur.

L'effroi quand à lui affleure à de nombreux moments, noyés dans le torrent des descriptions psychologico-mélancoliques de Victor. Par exemple (je passe sur plein de choses pour ne pas spoiler), le visage angoissé et difforme du monstre qui regarde à travers la fenêtre, tel l'oeil de Moscou qui guette implacablement sa victime, ca donne des frissons (quand on essaye vraiment de se le représenter).

Le monstre qui n'est jamais entièrement décrit. Aussi a-t-on du mal à vraiment se faire une idée de ce qui effraie tant le bon Victor... on finit par se demander si les hommes du XVIIIe siècle n'étaient pas un peu "chochottes" (il passe quand même au moins la moitié du roman alité à cause de la fatigue morale).

Blague à part, une autre chose m'a étonné : le stéréotype attaché à Frankenstein n'est vraiment pas conforme aux origines du "mythe". Le monstre parle ! Moi qui en était resté à l'image des dessins animés avec un espèce de zombie qui a des boulons dans la tête et se déplace assez lentement, waouh... ce retour aux sources m'a surpris, dans le bon sens !

Bref, on retrouve dans ce livre l'un des questionnements fondateurs de la SF (qui dérive du fantastique, rappelons-nous que le thème des soirées des Shelley et de Byron était le récit d'épouvante), à savoir en gros : l'homme peut-il égaler son Créateur en devenant créateur à son tour par les moyens de la technique ? Et là, la boucle est bouclée : le sous-titre résume tout : c'est une variation du mythe prométhéen qui est à l'origine de ce roman.

En résumé, ça fait réfléchir, il y a de l'action et même si parfois les actions du monstre (une fois passé l'étonnement de le voir parler) sont un peu cousues de fil blanc (sauf pour ce pauvre Victor, qui n'a décidément rien compris), on veut arriver à la fin pour savoir comment ça va se terminer. C'est bien.

Dans les points négatifs maintenant, les lamentations perpétuelles (pré-romantiques ?) des personnages finissent par toutes se ressembler. Après une description de Genève l'été, Genève l'hiver six ans plus tard. Cool. Mais un peu longuet quand même. Le héros faible et fier (mais une fierté blessée), on peut s'en accommoder sans problème, mais parfois on a l'impression de lire le journal de santé de son médecin. La dimension psychologique est importante dans un récit fantastique ou même romantique (idem dans l'extension gothique du romantisme) : ça n'aurait pas le même charme sans. Mais là j'ai eu parfois l'impression que c'était trop. Ca prouve juste que moi, lecteur du XXIe siècle, je n'ai pas les mêmes attentes que le public du début du XIXe siècle. Rien de grave, en somme. On peut lire plus vite certains passages, et ça va très bien.

Je suis content de l'avoir lu. Frankenstein ou le Prométhée moderne est un classique à lire sans se prendre la tête, pour le plaisir et l'épouvante.
Psan
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le 12 août 2012

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Psan

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